DEUX ANS APRÈS UN PREMIER ALBUM FOLK-GOSPEL ÉPATANT, LA CANADIENNE COLD SPECKS REVIENT AVEC NEUROPLASTICITY. AUSSI SOMBRE, MAIS MOINS DÉPOUILLÉ, PLUS DENSE. ET AVEC UN NOUVEL ÉTAT D’ESPRIT

On se souvient encore bien de la première rencontre, à l’automne 2012. Attablée à la terrasse du café de l’AB, Cold Specks était venue parler de sa musique. Elle affichait un vrai sourire et l’air de s’excuser vaguement d’être là. Réservée certes, mais se laissant encore aller à l’une ou l’autre trivialité, baissant de temps en temps les défenses… Deux ans plus tard, changement de ton. Dans les bureaux de sa maison de disques, elle attend figée, le port hiératique. Les premières réponses paraissent sortir en pilotage automatique. Il faut réécouter la bande de l’interview pour se rappeler que la jeune femme pratique l’humour à froid et laisse régulièrement échapper des rires. Buster Keaton, sors de ce corps…

A vrai dire, ce n’est pas complètement une surprise. Cold Specks a toujours avancé sur la pointe des pieds, inquiète de se retrouver coincée dans un personnage. Dans la foulée du « printemps érable » (les manifestations étudiantes au Québec), la Canadienne d’origine somalienne avait sorti un premier disque intitulé I Predict A Graceful Explosion dont les reliefs folk étaient secoués par un souffle gospel orageux. Le ton des chansons était alors à la confession intime. En interview par contre, elle se protège. Quand elle daigne abandonner le nom de Cold Specks par exemple, c’est pour livrer un autre pseudo, Al Spx, mais toujours pas de véritable identité. « Ce n’est pas une question de secret« , expliquait-elle en 2012, « plutôt de confort« . « J’ai écrit ces chansons dans ma chambre et je ne m’attendais pas à les retrouver sur un disque. Je ne pensais pas que ma famille ou mes amis pourraient les entendre. »

Laminage à froid

Deux ans plus tard, la famille de Cold Specks sait évidemment. Du moins pour la musique. « Mes parents étaient juste inquiets. Ils voulaient le meilleur pour moi et ils pensaient que la musique n’était peut-être pas la meilleure piste pour leur fille. Aujourd’hui, ils sont rassurés. » Elle a aussi résolu son angoisse par rapport aux accents trop personnels de sa musique. La solution, aussi simple que radicale: elle les a officiellement évacués… « Pour mon premier disque, j’ai écrit de manière très honnête sur moi. Je n’ai aucune intention de recommencer. Il était très authentique, mais quand il est sorti, l’époque dont je parlais était révolue. Ça a été pénible, et comme je suis une très mauvaise actrice (sourire)… Avec le nouvel album, j’ai voulu laisser tomber le côté « folk dénudé qui met ses tripes sur la table ». En fait, j’ai voulu éliminer toute trace éventuelle d’attachement personnel aux chansons. » Parce que trop douloureux? « Non parce que trop ennuyeux! » Elle se marre et vanne: « Sincèrement, je pense que les gens donnent trop de crédit aux artistes, spécialement aux musiciens. Ils racontent quand même pas mal de couillonnades… J’aime la musique, j’aime en faire, en jouer devant les gens. Mais je n’aime pas trop l’analyser -spécialement en partant du point de vue qu’elle pourrait éventuellement dévoiler quelque chose de votre âââme. Le mythe de l’artiste, tout ça, je pense que c’est des conneries. »

L’attitude est rafraîchissante. D’autant que cela n’enlève rien à la « mystique » du nouvel album, Neuroplasticity. Si l’on veut, on peut même la retrouver dès les origines du disque. Les premières ébauches ont en effet été pondues lors d’une « retraite » de trois mois dans un cottage, paumé dans le Somerset. « J’avais besoin de quitter Londres et ses douze millions de personnes, où la crise se reflète sur chaque visage que vous croisez dans la rue. » Elle se plante donc dans la campagne, pas loin de Glastonbury. L’endroit est connu pour son festival. Il est aussi un lieu de pèlerinage pour une série de freaks, fans de légendes celtiques new age (la tombe du roi Arthur est située dans son abbaye). « C’est plein de magasins qui vendent des cristaux « magiques » et des chapeaux de sorciers. Les gens viennent d’un peu partout dans le monde pour grimper au sommet d’une colline, le Tor: c’est là que serait enterré le Saint Graal… »

Pour réaliser le disque, Cold Specks retournera toutefois au Canada. Installée à Montréal, elle investit le fameux studio Hotel2Tango. Elle avait enregistré son premier album en douze jours. Neuroplasticity prendra plusieurs mois. « C’était épuisant. Frustrant parfois. Mais indispensable. » Elle se concentrera sur les morceaux et la voix, ne touchant quasi aucun instrument. « J’ai réalisé que je ne devais pas être trop précieuse avec les chansons. Du moins si je voulais les mener là où je pensais devoir aller, en créant un son plus riche. Je devais évoluer vers un fonctionnement plus collaboratif avec les autres musiciens. » Comme le trompettiste jazz Ambrose Akinmusire ou Michael Gira, l’ogre des Swans, groupe rock expérimental. « On est sur le même label et je suis une grande fan des Swans, découverts au collège… J’avais même enregistré une reprise il y a quelques années. Michael l’a entendue et appréciée. On est restés en contact. » Echange de bons procédés: Cold Specks chante sur le récent To Be Kind, Gira vient grogner sur Exit Plan. « J’aime sa manière d’approcher la musique, que résume bien le nom de son groupe, le cygne comme une créature à la fois majestueuse et un poil irascible (rires). »

Le prédécesseur de Neuroplasticity était dépouillé. Cette fois-ci le son est donc plus « rempli », plus dense. Ici un orgue funèbre (A Broken Memory), là des montées quasi bruitistes (Absisto), des cuivres, des bois… Il ne trustera aucune airplay de la bande FM et son laminage à froid risque de laisser certains à quai. Il n’en manque pas moins de densité, toujours empli d’un souffle particulier. « En fait, le disque peut être différent, mais je pense qu’il y a une sorte de cohérence émotionnelle. Je crois en tout cas qu’il a autant de « poids » que le premier. » On confirme.

COLD SPECKS, NEUROPLASTICITY, DISTRIBUÉ PAR MUTE. EN CONCERT LE 20/09, À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

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RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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