Avec Snowflake Midnight, les rêveurs de l’Etat de New York, transforment leur pop onirique en un exubérant carnaval de beats empilés dans de brillantes mélodies à tiroir. épique.

ormé à la fin des années 80 à Buffalo, Etat de New York, Mercury Rev a au moins trois vies au compteur. La première, convulsive et imprévisible, est conjuguée dans les deux albums sortis en 1991 et 1993. Elle est marquée par un chanteur orgiaque à l’allure de dépouilleur de vieille femme (David Baker).  » Il aurait fini par nous tuer. Ou on s’en serait chargé », explique Jonathan Donahue, l’actuel vocaliste, grandement responsable du son du groupe dès See You on the Other Side, publié en septembre 1995. L’album suivant, le remarquable Deserter’s Songs, (1998), enclenche la deuxième vie de Mercury Rev. Le disque aux mélodies foudroyantes est un triomphe artistique et commer-cial. Le groupe y célèbre un univers lyrique et panthéiste à la manière d’un Pink Floyd mutant qui aurait flashé sur l’innocence déniaisée de La Boum (1). Mais Donahue est accro à l’héroïne et le multi-instrumentiste Grasshopper doit se retirer dans un couvent espagnol pour épuiser ses névroses. Dix ans et deux albums plus tard paraît donc ce Snowflake Midnight qui redéfinit une nouvelle fois le monde mercuryien. Les fulgurances mélodiques subsistent mais elles semblent bombardées de convulsions telluriques dans un incroyable et fascinant fouillis rythmique. Le rapport à la nature est toujours omniprésent, tout comme les thèmes de la transcendance et de la résilience. Dans un morceau tel que People are so Unpredictable, mix de multiples ambiances sonores divergentes, le résultat est d’une boulimie inédite chez les Rev. Produit par le compagnon de route Dave Fridmann, bassiste occasionnel en studio, le disque est la création collective du batteur Jeff Mercel de Grasshopper, et de Donahue. Il fonctionne toujours en multicouche et emploie des sonorités electros qui boostent une énergie nouvelle, plus inspirée par les maîtres primitifs comme La Monte Young ou Philip Glass que par la techno contemporaine. Le résultat est déroutant et virevoltant, mais la voix puissamment frêle de Jonathan Donahue reste un repère apaisant.

Jonathan le cohérent

Jonathan Donahue est né le 6 mai 1966 à Hurley, une petite ville sur l’Hudson, à cent cinquante kilomètres au nord de New York City. Il a grandi au son des radios AM – la seule fréquence qui passait les montagnes – et de la musique classique. Lointains souvenirs de Black Sabbath:  » Les premiers Sabbath que j’écoutais sur cassettes semblaient étendre mon univers et j’admirais cela. J’espère que Mercury Rev peut avoir cette fonction: le groupe n’est pas destiné à faire oublier quoi que ce soit mais existe comme une extension du monde de l’auditeur. Si nos chansons prennent position, c’est pour qu’on entreprenne la révolution en nous en premier lieu. La musique est le medium vers un processus de guérison . » Sous les stucs déplacés d’un palace bruxellois, Jonathan, sourire éclatant, a quelque chose du magicien d’Oz passé au civil. Les drogues non musicales sont derrière lui, son addiction à l’héroïne également. Le temps compte beaucoup chez Mercury Rev: c’est lui qui a dirigé l’enregistrement de Snowflake au gré d’une année passée par intermittence dans le studio du groupe au c£ur des Cat-skills, ces montagnes noires où rodent encore l’ombre de Dylan et du Band(2).  » Cet album a débuté simplement en étant assis, ensemble, en laissant la musique traverser nos veines, nos corps. On a commencé à jouer des instruments avec lesquels on n’était pas forcément familiers, comme la harpe-laser (…), et cela nous a privés du confort usuel. Les premières versions de ces chansons ont été créées selon un procédé proche de l’écriture automatique et devaient durer environ quarante-cinq minutes chacune. On les a laissées au repos pendant quelques mois puis on les a reprises et, d’une certaine manière, on a constaté qu’elles nous avaient échappé… » Pour décrypter l’album, Donahue fait volontiers référence à une technique d’écriture, le haïku, forme japonaise de poésie brève. On reste en zone orientale avec le parallèle qu’il trace entre les pratiques taoïs-tes ou bouddhiques et la référence à Antonin Artaud (1896-1948), auteur maudit du Théâtre de la cruauté. Jonathan y voit le lien entre le mental et la nécessité physique d’évacuer les chansons en scène. « Je vois chez Artaud des parallèles dans son travail avec le taoïsme ou le bouddhisme: des moments où il a été frustré avec l’expression du corps, de la même façon que les taoïs-tes et les bouddhistes peuvent l’être avec les mots. Pour moi, la scène est le medium indispensable de la relation humaine. Sinon, la folie peut très vite s’insérer dans votre quotidien. Rester en studio, c’est comme ne jamais quitter la maison… » Pourtant, dans leur studio des Catskills, Mercury Rev a enregistré de quoi faire  » quatre ou cinq albums ». Un second nouveau disque, l’instrumental-s£ur Strange Attractor, est aujourd’hui disponible gratuitement sur le Net et mérite une auscultation approfondie. Il prolonge le rêve mercuryen, au nouveau flux, libéré et puissant. Un groupe qui surprend est un groupe vivant, non?

(1) Et de sa chanson-tube Reality, interprétée par le chanteur écossais Richard Sanderson et vendue à huit millions d’exemplaires dans le monde en 1980…

(2) Garth Hudon et Levon Helm, du Band, apparaissent d’ailleurs sur Deserter’s Songs.

Snowflake Midnightchez V2.

En concert le 24/11 à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles

www.mercuryrev.com

Texte Philippe Cornet

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