Réhabilité par Sin City, Mickey Rourke étincelle en catcheur déchu dans le nouveau film d’Aronofsky. Un rôle qui pourrait lui valoir un Oscar.

Nombre d’acteurs affirment jouer pour goûter à d’autres vies. C’est pourtant son propre parcours que The Wrestler, Lion d’or au festival de Venise, aura rappelé à Mickey Rourke. L’anonymat, la traversée du désert et l’improbable retour… Mickey, c’est un peu Randy « The Ram », catcheur en fin de carrière oublié de tous, qu’il incarne dans le nouvel film de Darren Aronofsky.

A Londres, celui qui enchaînait les succès dans les eighties (L’Année du dragon, 9 semaines 1/2, Angel Heart) nous accueille avec un bouc et une moustache à la d’Artagnan. Veste de costard et chemise turquoise ouverte jusqu’au nombril. A sa droite, un bol d’eau et une assiette de croquettes sont prêts à l’emploi. A sa gauche, un petit chien dort affalé sur le sofa. « Il fut un temps, confie-t-il, où il n’y avait plus que lui pour m’écouter. »

Focus: en quoi vous retrouvez-vous dans le personnage de Randy?

Mickey Rourke: j’ai réalisé une belle carrière… Pendant cinq ans. Et puis, je me suis détruit à cause des règles que je m’étais, ou plutôt que je ne m’étais pas fixées. Je me foutais des répercussions. Je n’avais pas le moindre respect pour toute personne qui de près ou de loin s’apparentait à l’autorité. Je m’en balançais de la promo, du financement des films. J’étais borné. Je ne pensais qu’à une seule et unique chose: jouer. J’étais très naïf dans ma manière de considérer l’industrie cinématographique. Le réveil fut pénible la première fois que j’ai rencontré un directeur de casting arrogant.

Pourquoi?

Je n’étais pas prêt à lécher des bottes. Mais j’ai réalisé, après cinq ou six ans sans décrocher de gros rôle, que je devrais m’y résoudre. J’ai travaillé avec des réalisateurs qui ne savaient rien du métier d’acteur. J’ai brisé les règles d’Hollywood avec les miennes. Etre un dur. Imposer le respect. Faire valoir sa fierté. Je pensais qu’avec mes qualités, je pourrais baiser le système. Mais c’est lui qui m’a mis un coup de pied au cul. Les règles en vigueur dans le sport ou dans la rue ne s’appliquent pas au cinéma. En sport (Rourke a été boxeur), on te demande d’être concentré, appliqué. Sans compromis. Je me suis dès lors construit une armure physique et mentale. Une carapace qui cachait les morceaux, l’abandon et la honte. Je pensais que si je changeais, je ne serais plus un dur. Même si j’ai avancé à pas de bébé, j’ai grandi. Je suis dorénavant responsable de mes actes, des mots qui sortent de ma bouche.

Peut-on comparer le come-back d’un catcheur et celui d’un acteur?

Je constate en effet des similitudes. Dans le catch, vous devez être bâti d’une certaine manière. Ce sport nécessite une bonne condition physique et une réelle confiance en la personne avec laquelle vous travaillez. Ce qui est relativement similaire au milieu de la comédie. Certains acteurs sont bons. D’autres incroyables. Et on a forcément envie de bosser avec les meilleurs. Comme dans le ciné, la politique intervient. Les acteurs sont sous contrôle. Il y a toujours des mecs pour faire jouer les pistons, tirer les ficelles. Et quand vous atteignez la fin de la trentaine, le début de la quarantaine, certains prétendent qu’on vous a assez vu. Alors, comme au football, on vous vend à une autre équipe. On vous jette. On vous échange contre un sac de sucre. En un instant, vous n’êtes plus tête d’affiche au Madison Square Garden. Et il vous est pratiquement impossible de revenir. On peut encore évoquer l’abandon. Dans un métier comme dans l’autre vous êtes tellement souvent sur la route que vous ne prenez pas soin de votre famille. Que vous n’endossez pas vos responsabilités. Et quand les lumières s’éteignent, vos proches sont partis. Vous êtes seul. Vous vous posez des questions. Il est difficile de réclamer cet amour que vous n’avez pas donné.

La scène où vous travaillez comme boucher dans un grand magasin fut de votre propre aveu très douloureuse à tourner. Pourquoi?

Parce qu’elle a réveillé ce que j’ai vécu. Des villes comme New York et Los Angeles te rappellent tous les jours que tu n’es plus important, désiré. Je me suis souvenu de cette époque à L.A. où j’allais acheter un paquet de cigarettes au beau milieu de la nuit et où il y avait toujours quelqu’un pour me demander: « tiens, vous n’êtes pas ce type qu’on voyait dans les films. Avant? » Je me disais: putain. Donnez-moi mes clopes que je puisse me barrer. Puis il citait des trucs dans lesquels je n’avais pas joué. M’appelait par le nom d’un autre. Cette scène m’a ramené à mes propres échecs. Le moment où je touchais le fond. Les gens disent que tu étais censé devenir le nouveau x, le prochain y. Mais ce n’est pas vraiment le problème. Le x, le y ont peut-être été les meilleurs, ils n’ont pas pour autant eu la plus grande vie qui soit. Mais on fait ce pour quoi on est né. Maradona, George Best, là où ils se sentaient bien, c’était sur un terrain.

Entretien Julien Broquet

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