Reggaeton, K-pop, afropop,… : les nouvelles frontières de la pop

Blackpink, phénomène K-pop du moment. © GETTY IMAGES
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Un groupe de K-pop et une superstar reggaeton en tête d’affiche du prochain festival Coachella, l’un des plus importants du monde. L’hégémonie anglo-saxonne sur la pop aurait-elle vécu?

Ce fut l’une des prestations les plus marquantes de la dernière cérémonie des Grammys, les fameux prix musicaux américains, remis dimanche à Los Angeles. Pas au point d’éclipser le nouveau record de la reine Beyoncé. Mais pas loin. Ouvrant le show, le Portoricain Bad Bunny a mis le feu. Déboulant en t-shirt-jeans-casquette au milieu des smokings et robes de soirée, Benito Antonio Martínez Ocasio de son vrai nom a dégoupillé un medley reggaeton pétaradant. Entouré de danseurs en tenue traditionnelle, il était également accompagné de géants semblables à ceux que l’on croise chaque année lors des Fiestas de la calle San Sebastián, à San Juan, la capitale de Porto Rico. Même Taylor Swift n’a pas pu s’empêcher de se lever pour danser… Quelques minutes plus tard, Bad Bunny revenait sur scène pour chercher son Grammy. Il repartait avec celui du Best Música Urbana Album, l’une des deux catégories (avec celle de Meilleur album de l’année) dans lesquelles concourait Un verano sin ti, sorti au printemps dernier. Mission accomplie.

Bad Bunny et son reggaeton pétaradant, pour ouvrir la récente cérémonie des Grammys.
Bad Bunny et son reggaeton pétaradant, pour ouvrir la récente cérémonie des Grammys. © GETTY IMAGES

La prochaine se déroulera au mois d’avril. Trois ans après sa première apparition, Bad Bunny sera de retour au festival de Coachella. Cette fois, cependant, il trônera carrément en tête d’affiche. Logique pour l’artiste qui, ces trois dernières années, a été le plus streamé au monde sur la plateforme Spotify? Certainement. Pour autant, l’événement n’est pas anodin. Ouvrant la saison des grands rassemblements estivaux, le raout américain XXL passe pour le rendez-vous incontournable où se montrer, réussissant chaque année à s’assurer de juteuses exclusivités. Les places sont chères. Chaque star rêve d’y participer et de créer l’événement. Organisé sur un terrain de polo, à une trentaine de kilomètres de Palm Springs, en plein désert du Colorado, Coachella donne en quelque sorte la température de la planète pop.

Et si l’on en croit le baromètre 2023, l’heure est plus que jamais à son internationalisation. Au sommet de sa programmation à rallonge, comptant plus de 150 noms, Coachella a en effet placé, outre Frank Ocean, non seulement le Portoricain Bad Bunny mais aussi les Sud-Coréennes de Blackpink. Pour être clair, c’est la première fois que le festival américain laisse le soin à des groupes non-anglophones de tirer son affiche. L’hégémonie anglo-saxonne sur la pop serait-elle sur le point de basculer?

Changement de paradigme

Bien sûr, le récit n’est pas neuf. Cela fait un moment maintenant que les charts ont commencé à prendre d’autres couleurs. Celles du reggaeton, rythme caribéen qui a essaimé dans toute la pop, notamment depuis la scie Despacito, troisième titre le plus streamé de l’Histoire (mais toujours n°1 dans les rames de la plupart des métros de la planète); comme celles de l’afropop -pour rappel, dès 2016, Drake a obtenu l’un de ses plus gros tubes avec One Dance, carton afrobeats sur lequel était présente la star nigériane Wizkid. Depuis, la vague ne s’est jamais vraiment arrêtée. Pour revenir aux Grammys, Tems devenait la première Nigériane à remporter un trophée pour sa participation au Wait for U du rappeur Future (et avec l’inévitable Drake)…

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Cela se passe aussi en Belgique. En juillet prochain, Les Ardentes ont réussi à attirer sur leur affiche ni plus ni moins que J Balvin, l’autre poids lourds actuel du reggaeton. Programmateur du festival liégeois, Jean-Yves Reumont explique: “La mondialisation de la pop est en effet de plus en plus importante. Le monopole des Anglais et des Américains n’existe plus vraiment, au profit d’autres sons, et c’est tant mieux. C’est plutôt rafraîchissant. Ça vaut d’ailleurs aussi pour des artistes francophones, qui se retrouvent à scorer dans des playlist internationales, comme Aya Nakamura. On essaie en tout cas d’être attentifs et ouverts à ces évolutions, en proposant notamment des artistes latinos ou afropop. En 2020, par exemple, on avait déjà confirmé la venue de Bad Bunny (avant que le Covid ne pousse à annuler la tenue de l’événement, NDLR).” L’an dernier, c’était la superstar nigériane Burna Boy qui a marqué le festival, en triomphant sur la grande scène. “Ce genre d’artiste amène aussi autre chose dans notre programmation, tout en restant cohérent avec l’esprit du festival. Au milieu de quatre jours dominés par le même type de son, le même genre de flow, ça apporte une respiration, une certaine variété.

Burna Boy, le "géant africain".
Burna Boy, le « géant africain ». © GETTY IMAGES

En dehors du live, d’autres indicateurs confirment que le spectre de la pop n’a peut-être jamais été aussi large. L’an dernier, l’Ifpi, la fédération internationale de l’industrie du disque, indiquait par exemple que, pour la première fois, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord représentaient le territoire sur lequel le marché de la musique connaissait la croissance la plus importante. Et en septembre 2021, le chanteur égyptien Mohamed Hamaki a été le premier chanteur arabe à donner un concert sur la plateforme de jeu Fortnite…

L’impact de sons issus d’Afrique du Nord sur la pop mondiale reste cependant encore limité. Ce qui n’est pas le cas de la K-pop par exemple. Phénomène en pleine expansion, elle a poussé des groupes occidentaux à regarder d’un autre œil ce qui a pu longtemps passer pour une simple déclinaison asiatique des boys bands. Voire à s’y associer -comme quand Coldplay commet le crossover My Universe en duo avec les superstars BTS…

L’an dernier, les exportations d’albums de K-pop ont atteint un nouveau record, comme c’est le cas chaque année depuis 2017. Selon les chiffres officiels, livrés par le service des douanes de Corée du Sud, le montant des exportations d’albums en 2022 a dépassé les 230 millions de dollars. Ils ont été envoyés en majorité au Japon et en Chine. Mais dans le top 10 des pays les plus intéressés par la K-pop, on trouve également les États-Unis, les Pays-Bas ou encore l’Allemagne et la France. L’an dernier, le volet européen de la tournée de Blackpink s’est ainsi arrêté à Barcelone, Amsterdam, Cologne, Berlin. À Londres, alors que le prestigieux V&A consacre une grande exposition à la vague coréenne –Hallyu! The Korean Wave, jusqu’en juin-, le girl band a joué deux soirs de suite à l’O2 Arena (avant de revenir en juillet à Hyde Park). Même agitation du côté Paris: on a pu voir Blackpink traîner dans les couloirs de la Fashion Week, poser avec Roger Federer et Neymar (à moins que ce ne soit l’inverse), et apparaître pour la première fois à la télé française (Le Gala des pièces jaunes, diffusé sur France 2, auquel était également convié Pharrell Williams), et ce, avant de remplir deux fois de suite Bercy…

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En Belgique, le mouvement reste plus timide. “On a eu une possibilité d’inviter un groupe K-pop, explique par exemple Jean-Yves Reumont. Mais ça ne s’est pas concrétisé. D’un autre côté, si ça s’était fait, on se serait peut-être trop éloigné de notre proposition de base.” À ce stade, aucun grand festival n’envisage en tout cas de creuser le créneau. Les rares concerts de K-pop sont pourtant généralement rapidement sold out. Depuis 2018, un booker comme Greenhouse Talent propose régulièrement des groupes coréens. La plupart du temps à la Madeleine, certes, pas la plus grande des salles bruxelloises. Mais le 18 février prochain, c’est carrément dans un Palais 12 que jouera Ateez pour sa première belge…

Le tremplin TikTok

Comment expliquer que les cartes de la pop mondiale aient été rebattues à ce point? Internet bien sûr! C’est devenu un lieu commun, mais en facilitant la circulation des contenus, le Web a autant augmenté leur uniformisation que la popularisation de nouveaux idiomes. La K-pop en particulier s’est appuyée massivement sur le Net et les nouvelles technologies pour conquérir le monde. Chaque groupe est en interaction permanente avec ses fans, via les réseaux. SM Entertainment, équivalent de la Motown pour la K-pop, a ainsi mis au point le SM Culture Universe, sorte d’univers parallèle développé par son fondateur, Lee Soo-man, un ancien DJ-chanteur, parti étudier l’informatique aux États-Unis dans les années 80. Avant même la pandémie, le label avait organisé une série de livestreamings, et utilisé des hologrammes. L’arrivée du metaverse a d’ailleurs poussé SM Entertainment à approfondir toujours plus ses outils virtuels. En 2020, il a par exemple lancé le groupe Aespa. Comptant officiellement huit membres, il comprend les quatre chanteuses et leurs avatars…

C’est ce que raconte Tim Adams, journaliste du Guardian qui a pu visiter les bureaux du label, à Séoul. À cette occasion, il détaille également comment le soft power coréen, soutenu par les autorités, a pris de l’ampleur ces dernières années –de la série Netflix Squid Game en passant par le film Parasite de Bong Joon-ho, Palme d’or et Oscar du meilleur film en 2019. L’outil est à la fois économique mais aussi politique. Le long de la frontière, des haut-parleurs diffusent ainsi régulièrement des tubes K-pop vers le voisin du Nord. Et Adams de lancer l’hypothèse: “Le fait que la vague coréenne hallyu peut pénétrer les sociétés les plus fermées a peut-être poussé les créateurs coréens à croire qu’il n’y avait aucun territoire que leur travail ne pouvait toucher…

Au-delà des grandes stratégies de conquête virtuelle, il faut aussi constater que certaines musiques se répandent plus facilement via le Net que d’autres. Le dancehall, le reggaeton, l’afropop… Issus de territoires souvent économiquement instables, ils ne peuvent pas compter sur le soutien de l’État. Ils n’en ont toutefois pas besoin pour trouver le succès sur des réseaux comme TikTok. Davantage portés sur des rythmes dansants, ces différents styles musicaux sont complètement dans leur élément. Ils fournissent la bande-son parfaite pour les chorés qui envahissent la plateforme préférée de la génération Z. À l’instar par exemple de Finesse, titre du producteur nigérian Pheelz, qui, à sa sortie, a été le titre le plus “shazamé” du monde, ou encore le Calm Down de Rema.

https://www.youtube.com/watch?v=4Vxyf067VbU

L’été passé, ce dernier était prévu à Couleur Café, avant de se faire porter pâle et de devoir annuler. En juin prochain, le festival bruxellois persiste malgré tout et signe en annonçant la venue de BNXN, autre producteur nigérian, qui a travaillé notamment avec Burna Boy. “L’internationalisation de la pop?, tique Samy Wallens, programmateur de l’événement. J’avoue que ça me semble être une évidence. Quelque part, Couleur Café a toujours été un acteur de ce mouvement. Même si les médias, a fortiori en Belgique, ont parfois tardé à embrayer et comprendre ce qui se passe.

Lancé au début des années 90, Couleur Café était encore étiqueté festival world. Un terme teinté de colonialisme, que je ne peux plus entendre, glisse Samy Wallens. Comme s’il y avait la musique occidentale d’un côté, et toutes les autres à côté. C’est tellement réducteur. Toutes les musiques ont un nom, c’est bien de les utiliser.” Ce n’est pas la seule chose qui a changé. Les prix aussi ont muté. Si Couleur Café a toujours pratiqué l’ouverture, il a de plus en plus de mal à programmer des artistes qui sont désormais très demandés. “Une superstar comme Bad Bunny par exemple, c’est impossible. En général, les cachets demandés sont de plus en plus fous. Et on a décidé depuis un moment de ne pas participer à cette course.

Même constat du côté des Ardentes, même si le budget est ici plus important. Jean-Yves Reumont: “On parle des artistes qui ont aujourd’hui une audience mondiale. Certaines superstars latinos se retrouvent à remplir des stades à Madrid ou Buenos Aires. Il faut leur expliquer que la situation n’est pas tout à fait la même ici. Ça demande de trouver le bon équilibre.” Le pari de cette année s’appelle par exemple J Balvin. “Il y a une demande, c’est clair. Malgré tout, ça reste quand même un test. C’est un peu disruptif par rapport à notre ligne. Mais les premiers retours ont été très bons. Et puis, rajoute celui qui s’occupe aussi de la communication de l’événement, pour terminer l’affiche ce soir-là, on a encore prévu une Bresh Party, qui sont les plus grosses soirées latinos du moment, avec près de 2 millions d’abonnés sur Instagram.” Liège, cité caliente

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