Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

AVEC DISTANT PROXIMITY, LA CENTRALE SONDE L’INSONDABLE: LA QUESTION DE L’ÊTRE AU MONDE. ÉTRANGES NOCES, PLUTÔT REBELLES, QUE CELLES QUI LIENT L’HOMME AU RÉEL.

Distant Proximity

CENTRALE FOR CONTEMPORARY ART, 44, PLACE SAINTE-CATHERINE, À 1000 BRUXELLES. JUSQU’AU 08/06.

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A chaque fois qu’il est question de création, on aime convier le père Gilles -Deleuze- pour faire entendre sa voix d’outre-tombe. Avant les autres et surtout mieux que quiconque, le philosophe français avait cerné ce que créer veut dire, de quoi créer est le nom. L’attitude à adopter pour l’auteur de Logique du sens? A la fois « y rester et en sortir« . Soit un aller-retour salutaire entre la pensée créatrice et l’objet en passe d’être créé. A la fois proche et lointain, à la fois dedans et dehors. Distant Proximity, avec son horizon de « proximité distante », voire de « distance proche », est à envisager de la même façon: une exposition le cul entre deux territoires, entre deux pôles. Intériorité et extériorité.

L’événement signe également le quatrième chapitre -on peut voir son travail comme une sorte de narration continuée- du livre qu’est en train d’écrire Carine Fol, commissaire et directrice artistique de la CENTRALE: après Mindscapes, L’Origine des choses et l’Indian Studio de Johan Muyle, Fol continue de tracer son chemin à travers « l’intensité », un mot qu’elle affectionne tout particulièrement. En guise d’avant-propos, la curatrice convoque l’éclairant Merleau-Ponty qui envisage la perception comme une « forme sur un fond » et disqualifie l’idée d’un monde objectif. Outre cet intéressant appareil critique, on sait également gré à Carine Fol de ne pas avoir renoncé: elle fait partie de ces acteurs de la scène artistique bruxelloise qui pensent que l’art peut encore changer le monde, à défaut de le sauver.

Temps forts

A ce titre, Distant Proximity est un pari audacieux renouant avec le dispositif déroulé déjà à travers Mindscapes: ici aussi les oeuvres constituent les pièces d’un puzzle qui s’assemble par-devers la conscience du spectateur. Ce n’est qu’une fois accompli que ce dernier, d’un regard dans le rétroviseur, peut en étreindre la cohérence. L’exposition s’ouvre sur une oeuvre qui interpelle. Elle est signée Lauren Moffatt, artiste venue d’Australie mais établie entre Paris et Berlin. Not Eye invite à chausser des lunettes tridimensionnelles pour être transporté dans le regard d’une femme, le sien, munie d’un masque assez particulier. Le dispositif permet de voir à la place d’un autre mais sans avoir le contrôle de quoi que ce soit. Inspirée par les métros qui fonctionnent sans conducteur, comme à Lille, l’installation rencontre d’emblée ce mélange de distance et de proximité annoncé. On pointe également les « architectures imaginaires » de Jeroen Hollander. Fascinants, ces dessins sur papier, effectués avec des crayons et des marqueurs, emmènent à travers des circonvolutions réticulaires qui sont celles de villes et de transports dénués de toute réalité. Très emblématique est également le travail photographique du Français Nicolas Moulin qui élabore des mixages visuels à partir d’éléments urbains puisés à même le réel. Le résultat consiste en des territoires vierges de toute humanité. Ils prennent l’apparence de brèches temporelles dont on ignore si elles se sont déjà produites ou si elles sont encore à venir.

WWW.CENTRALE-ART.BE

MICHEL VERLINDEN

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