DICK TOMASOVIC SIGNE UN ESSAI ÉRUDIT ET GOULEYANT, CATALOGUE IRRAISONNÉ DE L’ALCOOL AU CINÉMA EN 40 SHOTS BALAYANT L’HISTOIRE DU 7E ART ET CELLE DE NOS SOCIÉTÉS.

Shots! Alcool & cinéma

DE DICK TOMASOVIC, ÉDITIONS DU CAÏD, 192 PAGES.

7

Dans une scène mémorable de Saint Amour, le nouveau film du tandem Kervern/Delépine (lire critique page 39), un Poelvoorde aussi imbibé que désinhibé énonce, face à un Vincent Lacoste médusé, les « dix stades de l’ivresse », conduisant de la relaxation à la honte, suivant une nomenclature imparable. Un principe voisin préside à Shots! Alcool & cinéma, essai où Dick Tomasovic s’emploie à dresser le catalogue irraisonné de l’alcool au cinéma en quelque 40 shots aussi emblématiques que savamment dosés, hoquetant entre euphorie et dégrisement.

« Le cinéma donne le goût de l’alcool. Mais l’alcool donne aussi le goût du cinéma en lui offrant des situations homériques, des personnages magnifiques et des images poétiques », observe judicieusement l’auteur, professeur à l’université de Liège, dans son avant-propos. Démonstration ensuite, sans souci d’exhaustivité, à travers un inventaire de 40 films, courant de Kansas Saloon Smashers, de Edwin S. Porter, en 1901, à Gatsby, le magnifique, de Baz Luhrmann, en 2013, la série Mad Men tenant lieu de dernier pour la route, suivant la terminologie consacrée. L’intérêt de l’entreprise est multiple: s’il y a là une histoire parallèle du 7e art, embrassant les genres les plus divers, du burlesque au film de gangsters en passant par le (mélo)drame, l’animation et jusqu’au film d’arts martiaux, elle se double d’une autre, scannant l’évolution de nos sociétés par le prisme de l’alcool et de sa tolérance. De façon significative, l’ouvrage, qui s’ouvre sur un film parodiant un mouvement de tempérance et sa pasionaria, offre, dans sa dernière ligne droite, un feu d’artifices où se superposent les scènes empruntées à The Hangover, Spring Breakers et un Star Drunk méconnu. Et pour cause, ce dernier n’ayant été tourné qu’à destination des circuits de l’Internet, et orchestrant « un petit vertige théorique lorsque le spectateur prend conscience qu’il observe avec passion des comédiens ivres interpréter des personnages ivres qui craignent de ne pas paraître assez ivres alors qu’ils ont pour obligation de sembler ivres. »

Au sens de la formule, et de l’understatement (qui lui fait écrire, par exemple, au sujet de Rio Bravo, de Hawks: « Lorsque Dean Martin entre dans un saloon, le spectateur sait qu’il ne vient pas demander de l’eau pour son cheval »), Tomasovic ajoute celui de l’analyse. Et l’essai se révèle souvent passionnant, qui décrypte par exemple le syndrome petit-bourgeois d’un James Bond, relève jusqu’où l’alcool peut imprégner la matière filmique même, tout en s’autorisant divers hors-champs pertinents -ainsi, par exemple, lorsqu’il explique comment, incapable d’empêcher l’exploitation de The Lost Weekend de Billy Wilder, l’industrie de l’alcool se résigna à l’accompagner. C’est dire si, modulable à loisir, il y a là un cocktail cinéphile à déguster sans modération…

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content