Le retour de Jarvis Cocker, ancien leader de Pulp, est l’occasion de faire le point sur la Britpop, un mouvement de rock alternatif qui a ébranlé l’Angleterre.

Cet été, Blur effectuera son grand retour sur scène. Les frères Gallagher d’Oasis se désaltèreront à Werchter. Et Gaz fera rugir le moteur de Supergrass aux Ardentes. Si on s’était fait congeler au milieu des années 90, on y verrait que du feu. Pourtant, la Britpop est morte et enterrée depuis plus de dix ans maintenant. « Ce courant musical a connu une durée de vie extrêmement limitée, explique Jean-Marie Pottier, journaliste économique qui vient de signer un essai (1) croisant la carrière de Pulp et l’histoire de la musique populaire anglaise. La Britpop est née au début des années 90 avec Blur et Suede, alors que John Major était Premier ministre. Beaucoup s’entendent même sur 1992. Elle s’est éteinte en 1997 avec l’élection de Tony Blair. Noel Gallagher et Damon Albarn, qui s’opposaient avec virulence à Margaret Thatcher, avaient pris le parti de soutenir le travailliste. Ils se sont laissés instrumentaliser par le pouvoir et ont perdu leur image subversive. » Albarn, depuis devenu une des figures les plus influentes et éclectiques de l’industrie, n’a pas hésité à critiquer le politicien qu’il supportait. Et ce dès son premier mandat. « On a dès lors senti poindre un sentiment de désillusion. Très fier, arrogant, sûr de lui, Blur est devenu plus complexe et mélancolique à cette époque. Un groupe comme Pulp s’est également fait plus sombre comme le reflète la sortie de This is hardcore . »

1997, c’est aussi l’année du OK Computer cher à Radiohead. L’album du changement. Un disque de rupture sur le plan musical et un énorme succès commercial.

La Britpop s’était développée en réaction à différents courants musicaux et sociaux des années 80 et du début des années 90. A commencer par le grunge. Phénomène américain qui, emmené par Nirvana, venait d’envahir le Royaume-Uni. La réponse de la pop british aux crasses entre les doigts de pied? Un rock influencé par ses glorieux aînés et centré sur des préoccupations locales.

La Britpop a libéré l’Angleterre du grunge comme le punk l’avait « sauvée » des hippies.

 » Les thèmes récurrents, si on parle d’un Blur ou d’un Sleeper, reposent sur la vie de l’Anglais moyen. La bière au pub, le journal du dimanche, la promenade avec le chien… Les textes sont précis, riches en détails. On peut les comparer au message de la nouvelle vague cinématographique anglaise dans les années 60. Ils racontent la vie ennuyeuse de banlieue. »

Révolution de paille

Avec la Britpop, les musiciens losers, sans look, des années 80, réussissaient à se hisser au sommet. L’indie devenait la norme. « Pour moi, la Britpop était plus intéressante comme mouvement social que d’un point de vue purement musical, insiste Jarvis Cocker. Les disques n’étaient pas bons. Sauf ceux de Pulp, évidemment. Luke Haines des Auteurs est un terrible songwriter qui aurait mérité davantage de succès mais la Britpop, c’était Cast, Dodgy, les Boo Radleys. Grrrr. Jesus Christ (à prononcer en anglais)… Non, ce qui me semble intéressant, c’est que des gamins indés désillusionnés se retrouvent sous le feu des projecteurs et puissent avoir la chance de changer la société britannique et la scène musicale anglaise, d’apporter des alternatives au mainstream. »

En attendant, la Britpop n’est pas née sur une terre brûlée. Elle doit beaucoup à des groupes comme les Kinks, The Jam, la scène de Madchester. « Après les années 80, je pensais que la récession représentait en quelque sorte nos sixties à nous. Quand tout explosait, que tout changeait, que la révolution était dans l’air. Or, les gens aspiraient à un revival sixties. Et les groupes jouaient de la musique des années 60. J’achète encore des disques de l’époque mais je m’inquiète que l’âge moderne n’apporte rien de nouveau. Que le rock a du mal à se renouveler. »

Cocker ne joue pas les donneurs de leçon. Il fait son autocritique. « Je ne dis pas que j’ai inventé une nouvelle forme de musique mais avec Further complications , j’ai enregistré quelque chose de nouveau pour moi. Tant de monde essaie de recréer le passé. C’est triste de vivre dans une époque révolue. La musique aujourd’hui n’est qu’anniversaires. Les 50 ans d’Heartbreak Hotel . Les 30 ans des Sex Pistols… Et même les 10 berges du premier album d’Oasis. Le rock était censé incarner la nouveauté. Il ne l’est plus. La faute de ma génération. Je partage les torts. »

Aussi décriée soit-elle, la Britpop a dégagé l’horizon des groupes à guitares.  » Quand j’ai quitté Sheffield, le musicien était la plus basse caste de la société. Il fallait payer les salles pour pouvoir y jouer, se souvient Jarvis. Maintenant tu vois des affiches Bands wanted sur la porte des clubs.  »

Les frères Gallagher se sont amusés à comparer les groupes à succès d’aujourd’hui à ceux de l’ancienne génération. Liam compare Kaiser Chiefs à (une mauvaise version de) Blur. Noel relie les Libertines – qui ont donné l’impulsion au mouvement avec beaucoup de promesse avant de sombrer dans la drogue et la mutinerie – à Suede et les Arctic Monkeys – un groupe venant du Nord qui a explosé le mouvement d’une autre manière – à son propre groupe, Oasis.

 » Les Arctic Monkeys sont définitivement plus rock que les artistes Britpop mais ils ont replacé le quotidien des jeunes Anglais au centre des préoccupations, remarque Jean-Marie Pottier . Mike Skinner, même s’il fait du hip-hop, est aussi quelque part un de leurs héritiers. »

Peut-on encore imaginer un courant similaire en 2009? Pareilles tendances peuvent-elles encore se dessiner? Jarvis en doute.  » Nous n’avons plus de mouvements sociaux pareils parce que nous ne disposons plus de médias de masse comme avant. Tant de canaux différents véhiculent les idées aujourd’hui. Des tas de courants invisibles existent. Ils existent dans leur propre monde. Tant mieux. Quand j’ai grandi, il y avait trois chaînes de télé et quatre radios au Royaume-Uni. Forcément, les gens regardaient et écoutaient la même chose. La BBC fait encore des efforts mais maintenant, pour trouver quoi que ce soit de décent, tu dois aller fouiller dans des endroits plus obscurs.  » Il sied bien d’être obscur aux artistes éclairés… l

(1) Brit Pulp – La Britpop selon Pulp de Thatcher à Blair, de Jean-Marie Pottier, éditions Autour du livre, collection Les Cahiers du rock.

Texte Julien Broquet

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