Profession de joie

Ezra Collective est une nouvelle preuve du bouillonnement de la scène jazz britannique. Et de sa capacité à viser autant le cerveau que le coeur ou les jambes.

Pour analyser la vitalité d’un genre, rien de tel que de mesurer son « élasticité ». Jusqu’à quel point peut-il s’étirer sans craquer? Jusqu’où peut-il se déployer et s’ouvrir sans se perdre? En la matière, le jazz constitue un cas d’école. Ces dernières années, alors que la musique -sa pratique, sa consommation, sa signification- a drastiquement muté, le genre centenaire, régulièrement annoncé comme mort, a su renouer le dialogue avec la jeune génération. Il l’a fait en adoptant en partie ses codes, tout en restant toutefois fidèle à son ADN.

Évident aux États-Unis, ce constat est aussi vrai en Angleterre. La scène londonienne, en particulier, n’en finit plus de s’agiter. Drivé par le batteur Femi Koleoso, Ezra Collective (Dylan Jones à la trompette, TJ Koleoso à la basse, Joe Armon Jones au piano et James Mollison au saxo) fait ainsi partie de ces formations qui entendent rénover le jazz de l’intérieur. Plus encore que ses camarades, le band a entrepris de démontrer que le genre n’était pas forcément destiné à une élite, avide d’expérimentations cérébrales et de virtuosité onaniste.

Le titre de l’album d’Ezra Collective a volontiers valeur de manifeste. La joie, comme outil presque politique pour contrer le cynisme ambiant. La joie encore, comme principal moteur d’un groupe débarrassé de toute ironie ou effet de manche, bien décidé à toucher les coeurs (et les bassins) avant de faire cogiter.

Pour autant, il ne faudrait pas y voir un rejet de tout intellectualisme -tendance dans l’air du temps, il faut bien le dire. Ce n’est pas le propos d’Ezra Collective. Comme un clin d’oeil, le quintet démarre d’ailleurs son album par une reprise du Space Is the Place de Sun Ra. Pas besoin de rappeler à quel point le génial musicien a construit une bonne partie de sa légende en s’aventurant sur les chemins les moins conventionnels. Du thème emblématique, Ezra Collective en fait cependant une relecture tout sucre, tout miel. Un groove soul dans lequel on imagine très bien voir se lover une Jill Scott ou un D’Angelo. Plus loin, il divague sur un rythme ska fantômatique à la Specials ( Red Whine), s’enflamme façon afrobeat ( Shakara avec Kokoroko), allume les feux latino ( São Paulo). Sans pour autant se refuser toute envie plus « strictement » jazz ( King of the Jungle, les relents fusion de Quest For Coin, You Can’t Steal My Joy). Le plus souvent, Ezra Collective cherche cependant à élargir son terrain de jeu. Par exemple en invitant Jorja Smith ou Loyle Carner, artistes « vingtenaires » qui sont moins là pour rajeunir la cible jazz habituelle que pour filer une couche de vernis soul supplémentaire à l’entreprise.

Profession de joie

Est-ce encore du jazz? Les tenants d’une certaine « orthodoxie » répondront évidemment par la négative. Mais ce n’est sans doute pas à eux que s’adresse Ezra Collective, du moins pas en premier lieu. À l’instar du mouvement acid jazz dans les années 90, le band est d’abord une porte d’entrée idéale pour un public néophyte. On aurait tort de la snober.

Ezra Collective

« You Can’t Steal My Joy »

Distribué par Enter The Jungle/NEWS. le 15/08, au Pukkelpop.

7

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