FRAIS QUINQUAGÉNAIRE, RUSSELL CROWE VIENT GONFLER LES RANGS DES ACTEURS-STARS QUI SE PIQUENT DE PASSER DERRIÈRE LA CAMÉRA AVEC THE WATER DIVINER, AMBITIEUX (MÉLO)DRAME HISTORIQUE AUX RÉSONANCES CONTEMPORAINES.

A l’autre bout du fil, Russell Crowe, voix rauque et assurée, s’excuse: « C’est un peu agité ici à Atlanta. Je suis sur le plateau de The Nice Guys et on s’apprête à tourner une scène. Mais j’ai un peu de temps pour discuter. Que voulez-vous savoir? » Nous sommes le 19 décembre 2014 et quelques jours sans doute avant de rejoindre les siens pour les fêtes, l’acteur néo-zélandais, la petite cinquantaine au compteur, jongle donc entre le plateau du nouveau film de Shane Black (Kiss Kiss Bang Bang, Iron Man 3) -où il partage l’affiche avec Ryan Gosling mais aussi Kim Basinger, presque 20 ans après L.A. Confidential– et la promo de son premier long métrage en tant que réalisateur, The Water Diviner. Soit un drame historique au parfum résolument old school où, quelques années après la fin de la Première Guerre mondiale, un père brisé (Crowe lui-même) se décide à quitter son outback australien pour se mettre en quête des corps de ses trois fils tragiquement disparus durant la bataille des Dardanelles, dans la péninsule de Gallipoli, épisode douloureux soldé en 1916 par un cuisant revers des puissances alliées face à l’Empire ottoman.

L’une des scènes-clés de votre film est ponctuée par ces mots: « Some things should never be forgotten« . Est-ce la raison qui vous a poussé à réaliser The Water Diviner: la volonté de revenir sur un épisode historique qui ne devrait jamais être oublié?

C’était ma motivation première, oui, indéniablement. Vous savez, des tas de jeunes gars ont sacrifié leur vie durant la Première Guerre mondiale pour des raisons que l’on a trop souvent tendance à détourner de leur sens d’origine. Regardez la situation actuelle: nous venons tout juste de célébrer le centenaire de la naissance de ce conflit d’ordre planétaire, et il se trouve que nous sommes toujours occupés à nous battre dans cette zone territoriale qu’à l’époque on nommait Empire ottoman. En ce sens, il m’importait que le film vibre de multiples résonances contemporaines, et se fasse le véhicule de valeurs aussi atemporelles que le pardon, la tolérance, l’esprit de partage…

Vous-même, étiez-vous familier avec cet épisode spécifique -la bataille des Dardanelles et ses conséquences- avant de vous intéresser à ce scénario?

Oui, bien sûr, il s’agit là d’une page d’Histoire particulièrement significative pour les Australiens et les Néo-Zélandais. On en parle souvent comme du moment de basculement où ces jeunes colonies sont officiellement devenues des nations indépendantes. Dans les faits, c’est en tout cas la toute première fois que les soldats australiens et néo-zélandais ont combattu sous leurs propres couleurs, et non plus sous drapeau britannique. Chaque année, au printemps, nous fêtons ainsi ce qu’on appelle l’ANZAC Day, pour commémorer le débarquement de l’Australian and New Zealand Army Corps à Gallipoli le 25 avril 1915. Depuis presque 100 ans, à cette date, nous organisons des cérémonies du souvenir qui débutent dès l’aube. Chaque pays existant aujourd’hui a connu, à un moment donné de son Histoire, ce genre d’événement décisif où sa culture et son identité se sont forgées de manière déterminante. Tout ça pour dire que ce contexte historique spécifique n’a rien d’anodin dans le film, même si je conçois tout à fait que les spectateurs internationaux peuvent très bien n’y voir qu’une simple toile de fond, et se concentrent sur son sujet, universel pour le coup: un homme perd ses trois fils et part en quête de leurs corps afin de faire son deuil, et tenter de retrouver une hypothétique paix d’esprit.

Cette histoire emprunte devant votre caméra la forme et les codes du mélodrame classique, rivé à l’affect et aux émotions, mais les horreurs de la guerre n’y sont pas moins dépeintes de manière frontale et réaliste…

C’est aussi une question d’équilibre: le fait de suivre le voyage de cet homme implique en partie de revivre celui de ses fils. Rétrospectivement, sans les avoir vécus, le danger est bien sûr de romantiser les combats, de souligner la beauté du sacrifice de ces hommes tombés au champ d’honneur, sans forcément en mesurer toute l’atroce réalité. Il me semblait en ce sens essentiel de montrer ces images où des centaines de jeunes soldats gisent sur le sol boueux, occupés à mourir lentement, dans la souffrance, parce qu’ils n’ont pas eu la « chance » d’être tués sur le coup, implorant leur mère ou bien Dieu, réclamant un peu d’eau tandis que leur corps se vide peu à peu de son sang. Il me semble nécessaire de connaître les détails, même les plus cruels, d’un sacrifice pour en appréhender le prix.

D’un autre côté, vous vous permettez d’introduire des éléments fantastiques voire magiques dans le récit…

En effet. Je ne pense pas que la vie soit pure littéralité. Je crois par exemple que l’intuition joue un rôle important dans nos existences. Et il se trouve que le boulot de Josh, le personnage que j’interprète, requiert énormément d’intuition. En tant que sourcier, il doit « sentir » où trouver de l’eau sous terre. Je le vois comme quelqu’un de très spirituel, même si à la mort de sa femme il semble se détourner de la religion. Il est clairement connecté à ses instincts et possède une espèce de magnétisme. Il est difficile de mettre des mots là-dessus, c’est quelque chose de très diffus. C’est un sentiment que, personnellement, j’ai déjà expérimenté, et d’autres que moi dans mon entourage. Je connais par exemple beaucoup de femmes qui sentent certains événements arriver. Je voulais que ce soit présent dans le film, explorer d’une manière ou d’une autre cette zone un peu étrange qui existe au-delà de la simple rationalité.

Cette dimension spirituelle, couplée au souffle épique du récit d’aventure et au caractère grandiose des paysages qui l’encadrent, débouche sur une fresque assez ambitieuse dans ses intentions…

Oui, c’est peut-être ambitieux pour un premier film, mais c’est aussi ce qui le rendait excitant à réaliser. L’histoire est ample, et il y a une responsabilité certaine à la raconter. Sans compter que le tournage en Australie, à Istanbul et dans le sud de la Turquie n’était pas des plus aisés… Mais ce qui me fait peur m’attire, c’est plus fort que moi.

A quel moment de votre carrière d’acteur avez-vous su que vous vouliez passer à la réalisation?

Très tôt, à vrai dire. Mais je ne voulais pas précipiter les choses. Concrètement, l’opportunité s’est présentée à moi dès le début des années 2000, dans la foulée du succès de Gladiator, mais je n’étais pas mûr. Et puis j’avais le sentiment que le projet était sur le point d’aboutir pour de mauvaises raisons, découlant essentiellement de la poussée de célébrité que je connaissais alors. J’ai donc préféré attendre de me sentir pleinement légitime, ce que je ne regrette absolument pas aujourd’hui. The Water Diviner résulte au fond d’un long et patient processus d’apprentissage aux côtés des meilleurs cinéastes du business, de Ridley Scott, bien sûr, à Darren Aronofsky en passant par Peter Weir, Tom Hooper, Curtis Hanson ou encore Michael Mann. Vous savez, j’évolue devant une caméra depuis l’âge de 6 ans (la série télé australienne Spyforce, ndlr), et j’enquille les longs métrages depuis plus de 25 ans… Aujourd’hui, j’estime que j’ai accumulé suffisamment d’expérience et que je n’ai plus de temps à perdre. Je prépare déjà mon deuxième film en tant que réalisateur. Il s’appellera The Happiest Refugee, et sera tourné entre le Vietnam et le beau milieu de l’océan…

ENTRETIEN Nicolas Clément

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