Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

FAUCHÉ PAR LE SIDA À 40 ANS, ARTHUR RUSSELL N’AVAIT PAS SON PAREIL POUR PONDRE DES MERVEILLES POP INSULAIRES. NOUVEL EXEMPLE AVEC L’ÉLECTRO BANCALE DE CORN.

Arthur Russell

« Corn »

RÉÉDITION. DISTRIBUÉ PAR AUDIKA.

8

Par quel bout le prendre? Comment aborder la musique d’Arthur Russell? Via ses morceaux folk-country? Ses excursions disco? Ou alors en se penchant sur ses expérimentations instrumentales minimalistes, comme il a pu en réaliser aux côtés de Philip Glass? Décédé en 1992 de complications de santé liées au sida, Arthur Russell a beau n’avoir vécu qu’une quarantaine d’années, il n’a cessé de multiplier les terrains de jeu. Tout en restant quasiment toujours directement identifiable, peu importe l’angle choisi. Appelez ça de la versatilité, du talent, voire du génie: le fait est qu’on oublie rarement la première fois que l’on a entendu un morceau de Russell -comme c’est toujours le cas avec les voix les plus sincères et authentiques.

Aujourd’hui, le musicien est adulé par des gens comme James Blake, Sufjan Stevens, LCD Soundsystem… Pendant longtemps cependant, le nom d’Arthur Russell est resté largement méconnu. Il faut dire que le bonhomme avait le don de brouiller les pistes, enregistrant à la chaîne mais publiant peu -de son vivant, Russell n’a sorti qu’un seul véritable album sous son nom, World of Echo, en 1986. Par ailleurs, il avait également la manie de multiplier les pseudos (De Dinosaur L à Loose Joints). Pas simple à suivre, donc.

En cela, le travail de réédition entamé depuis une dizaine d’années par Audika tombe à pic. Certes, on en connaît d’autres, des discographies bâties de manière posthume sur une poignée d’albums -au hasard, le cas Jimi Hendrix, qui pour trois disques publiés de son vivant, voit son catalogue « complété » quasi chaque année par des inédits… Il faut bien nourrir le mythe. Dans le cas de Russell cependant, il s’agit moins d’entretenir une « marque » que de réellement mettre à jour sa musique. Aurait-on pu par exemple se passer de The World of Arthur Russell, première compilation significative sortie en 2004, ou de Love Is Overtaking Me?

Ces deux disques restent probablement les meilleures introductions à la musique de Russell. Sorti il y a quelques semaines, Corn n’en recèle pas moins son lot de poésies post-disco plus ou moins zarbis. Les neuf titres sont issus de sessions datant de 1985, dispersés à l’époque sur trois test-pressing différents (et donc jamais commercialisés). Combinant l’insularité des lignes folk et l’élan collectif de la piste de danse, le disque réserve notamment une nouvelle version de Keeping Up ou encore une relecture plus brute et déliée du classique This Is How We Walk on The Moon. En ouverture, le morceau Lucky Cloud a tout du tube électropop déviant, suivi d’une première version de Corn -rallongée plus loin de neuf minutes supplémentaires… Tout est là: à la fois les fulgurances pop et les expérimentations rêveuses, les machines et le violoncelle, l’exubérance disco-dub et les éléments dissonants du Velvet Underground. Comme avec le magnifique Ocean Movie par exemple, en toute fin de disque. Instrumental bruitiste sous-marin, il s’enfonce dans les abysses, avant de remonter lentement à la surface. Vers les lueurs.

LAURENT HOEBRECHTS

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