Le rock est-il soluble dans l’écologie? Ils sont en tout cas de plus en plus nombreux – artistes, festivals… – à passer à l’acte. Smells like green spirit…

Will Moore se rappelle encore bien comment est née l’idée. Nous sommes en 2001. Moore travaille alors pour la firme de disques Virgin. « Un jour, je suis tombé sur un article expliquant qu’il était probable que 37 pc des espèces animales disparaissent d’ici à 2050 à cause du changement climatique. A ce moment-là, je bossais comme global marketing manager et j’avais la possibilité d’en parler avec de nombreux artistes. Le débat sur le changement climatique était assez neuf et il y avait encore des doutes sur le consensus scientifique. Donc j’ai commencé à travailler avec des groupes qui voulaient bien utiliser leur notoriété pour faire prendre conscience que le réchauffement climatique était une vraie menace. »

Aujourd’hui, Will Moore a quitté son boulot pour fonder Sustainable Touring. Une société qui met au point des plans de bataille pour les groupes ou événements désireux de « rouler » un peu plus vert. « Un des moments clés a été le Live Earth en 2007. On a pu voir l’industrie musicale, ensemble avec Al Gore et des artistes majeurs comme Metallica ou les Black Eyed Peas, marquer finalement le coup en mettant au point un événement global majeur pour sensibiliser au changement climatique. C’est arrivé après deux années marquées par l’ouragan Katrina en 2005, la publication du rapport Stern en 2006, et la prise de conscience née du film d’Al Gore, Une vérité qui dérange . Du coup, en 2007, il était devenu clair que notre boulot de sensibilisation était accompli et que l’on devait passer à l’étape suivante: conseiller le public et les artistes sur « comment » réduire leurs émissions. »

Un Willie dans son moteur

De fait, depuis plusieurs mois, les cas se multiplient. Plus ou moins convaincus, plus ou moins convaincants. Le champion toutes catégories, icône aussi bronzée que déterminée, reste bien sûr Jack Johnson. L’ancien surfeur, reconverti dans le folk de plage, a installé des panneaux solaires sur son studio, se déplace dans des bus roulant au biodiesel, et transforme ses concerts en forum pour les organismes écolo. Sur son site, Johnson affirme ainsi avoir récolté lors de sa dernière tournée quelque 845 000 dollars au profit de 184 associations environnementales. Radiohead a également marqué les esprits lors de ses dernières escapades. Fer de lance de la campagne The Big Ask – lobbyant pour que l’Europe fixe dans une loi ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre -, Radiohead avait évité l’édition 2008 du prestigieux festival de Glastonbury. Motif: l’absence quasi totale de transport public pour rejoindre le site. Le chanteur neo soul John Legend a prévu, lui, de se faire aider par l’organisation Reverb pour calculer le bilan carbone de sa prochaine tournée. En prévoyant des compensations, sous la forme de support financier à des projets écolos, notamment autour de l’énergie éolienne.

De son côté, Willie Nelson, le légendaire chanteur country, a développé sa propre gamme de biodiesel, BioWillie. Moins connu, le groupe de rock indé Cloudcult a créé son propre label. Lancé en 97, Earthology Records est installé dans la ferme bio du chanteur Craig Minowa, et fonctionne essentiellement à l’énergie géothermique. Par ailleurs, tous les profits sont redistribués à des organisations environnementales.

Et en Belgique? Le chanteur Tom Kestens, par exemple, alias Lalalover, est candidat aux prochaines élections européennes sur la liste Groen!. Il a également enregistré une partie de son dernier album dans un studio fonctionnant à l’énergie solaire, à Malines, l’un des seuls du continent.

L’écologie est donc bien dans l’air du temps. Quitte même à devenir une marque comme une autre. Quitte aussi à céder au « greenwashing », en gonflant ou « verdissant » certaines pratiques? A ce sujet, l’expert en marketing Mike Tunnicliffe analysait récemment le phénomène sur son blog, en évoquant la frilosité des musiciens à s’associer à certaines marques. Raison: la crainte de s’allier à des sociétés cherchant à se faire plus verte qu’elles ne le sont. Avec au bout du compte, une perte de crédibilité pour l’artiste…

De plus en plus de groupes passent donc directement à l’action. Ou du moins ceux qui le peuvent… Will Moore: « Quand vous êtes une tête d’affiche comme Radiohead, qui a fait pas mal d’efforts pour réduire son impact, il est évidemment plus facile d’exercer votre influence sur les promoteurs, les salles où vous jouez… »Un artiste qui cartonne comme Jason Mraz peut ainsi imposer sans trop de soucis une série de demandes spécifiques. Parfois anodines, mais pas innocentes. Lors du récent passage de Mrzaz à l’Ancienne Belgique, le « rider » envoyé par le management demandait par exemple d’éviter au maximum le jetable: pas de bouteilles d’eau ou de couverts en plastique, ni sets de table en papier… « Cela dit, si l’on reçoit ce genre de demandes une fois par mois, c’est beaucoup », précise Kevin McMullan de l’AB. La salle bruxelloise a elle-même déjà pris une série de mesures. Elle a notamment obtenu deux des trois étoiles que compte le label d’entreprise écodynamique de l’IBGE (l’Institut bruxellois pour la gestion de l’environnement). Signe le plus visible pour le visiteur: les fameux gobelets réutilisables employés au bar. Autre exemple: « Une réduction de 50 pc des déchets papier grâce à une politique prônant l’utilisation de l’e-mail comme principal moyen de promotion. »

Empreinte

Le principal défi reste cependant à charge des festivals. Situés la plupart du temps loin des centres urbains, nécessitant une infrastructure gigantesque, ils constituent souvent de grosses usines à CO2. Là aussi, on commence donc tout doucement à s’organiser. La plupart du temps en mettant l’accent sur les transports en commun ou le covoiturage, mais pas seulement. L’an dernier, un événement comme Couleur Café a calculé pour la première fois son empreinte écologique. Soit la surface nécessaire pour produire les principales ressources consommées et absorber ses déchets. En 2008, Couleur Café aura donc utilisé quelque 345 hectares. Soit 41 fois le terrain du festival, ou encore 53 m2 par festivalier. Le calcul sera refait pour l’édition 2009, avec de nouvelles mesures. Comme l’installation d’un camping sur le site, une grande première qui devrait diminuer les allées et venues durant les trois jours de Couleur Café. Les assiettes et couverts biodégradables devraient également devenir la règle dans les 52 enseignes de la fameuse rue du Bien Manger. Objectif: diminuer de 20 pc l’empreinte écologique du festival endéans les trois ans. Pour cela, Couleur Café peut même compter cette année sur un subside de 20 000 euros accordé par le ministre de l’Energie et du Climat, également en charge du Développement durable. Deux autres festivals touchent eux 16 000 euros: le Mano Mundo à Anvers et le récent Pacrock à Pont-à-Celles.

Rien par contre pour le Lasemo festival. S’il y en a pourtant un qui a fait du développement durable son cheval de bataille, sa marque de fabrique, c’est bien celui-là. Lancé l’an dernier, sur l’île de l’Oneux, à Hotton, le Lasemo (la « graine », en esperanto) remet le couvert cet été, du 10 au 12 juillet. Ici, l’affiche (cette année, la Rue Kétanou, Emily Loizeau, Zita Swoon…) est au moins aussi importante que ce qui l’entoure. Le but est clair: montrer que « l’écologie et le développement durable ne sont pas affaires de privation, que ceux-ci peuvent être associés aux loisirs ». Et tant qu’on y est, prouver qu’un tel événement est également économiquement durable – toujours une sinécure pour un festival, quelle que soit son optique… Concrètement, le Lasemo privilégiera donc à nouveau les produits locaux, évitera au maximum le matériel à usage unique – si besoin en empruntant à des festivals partenaires… Il ressortira également ses fameuses toilettes à litière bio-maîtrisée, alternative écolo aux wc chimiques utilisés dans la plupart des autres festivals.

Le Lasemo se positionne ainsi comme l’exception. Ou en tout cas, l’un de ceux qui se trouvent le plus à la pointe. Avant de devenir la règle?

Texte Laurent Hoebrechts

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