A l’affiche de Passe-Passe et J’ai toujours rêvé d’être un gangster, Edouard Baer décline deux facettes convergentes d’une personnalité comme en apesanteur.

Il y a incontestablement un style Edouard Baer, mélange, malaisé à définir, de charme détaché, d’humour décalé, de grâce funambule, qui présente un côté délicieusement suranné, en même temps que définitivement contemporain. Baer, le public en découvrit d’abord la voix, lorsque, avec son compère Ariel Wizman, il dynamitait l’antenne de Radio Nova dans l’émission La grosse boule. S’y ajouta, étape pratiquement obligée, le passage cathodique, sur Canal+. Et puis, suite non moins logique, le cinéma, auquel il s’essaya comme tant d’autres figures du PAF.

A cette différence près que Baer n’a pas tardé à y trouver sa place – unique et, oserait-on l’écrire?, indispensable. Il suffit, pour s’en convaincre, d’aller voir les deux films dont il occupe, pour l’heure, le devant de l’affiche. Que ce soit en braqueur désarmant (et désarmé) dans J’ai toujours rêvé d’être un gangster, de Samuel Benchétrit, ou en homme n’ayant jamais véritablement commencé à vivre dans Passe-passe, de Tonie Marshall, Edouard Baer impose à la fois sa présence insolite et un ton, savoureusement délirant, que l’on ne saurait trouver nulle part ailleurs, maniant comme personne l’art d’être là tout en étant toujours à côté… En un mot comme en cent, jubilatoire.

abracadabra

Lorsqu’on le retrouve dans la suite d’un palace parisien, le comédien apparaît tel qu’on se l’était représenté: sourire charmeur, exquise courtoisie, que complète une sorte de distance subtile. Baer a donc une double actualité – et même triple, si l’on y ajoute Un pedigree, de Patrick Modiano, qu’il présente pour l’heure au Théâtre de l’Atelier -, au gré de laquelle il glisse avec aisance, presque sans avoir l’air d’y toucher. Comme pour l’y aider, les deux rôles qu’il interprète ont en commun d’être, l’un et l’autre, en décrochage:  » Il faut qu’il y ait décrochage, observe-t-il, sans quoi on n’a pas d’aspérités pour prendre les choses. S’il n’y a pas décrochage, on est en présence de personnages de campagnes de marketing, de personnages de téléfilms n’existant pas en vrai. Beaucoup de films de cinéma ressemblent de plus en plus à des téléfilms, les gens y sont faux: ça n’existe pas un cadre de 35 ans, ayant exactement la maison de cadre et des goûts de cadre. Les gens présentent heureusement des aspérités et des surprises. »

Nombreuses, dans les deux cas qui nous occupent. Ainsi, concernant Darry Marzouki, le prestidigitateur au chômage qu’il incarne pour Tonie Marshall:  » C’est l’un de ces types qui ne se lancent jamais vraiment dans la vie, et qui s’inventent des prétextes, comme le fait de s’occuper de leur mère… Il a la chance de tomber sur un déclencheur, mais c’est la situation qui est un peu folle, la probabilité de tomber sur Christine Devier-Joncour ou sur Nathalie Baye sur une autoroute. Mais là, c’est ce qui est amusant, et c’est du cinéma…  » Ouvrant, du reste, sur un jeu de références, comparable à celui mis en scène par Benchétrit –  » On dirait ce personnage issu du polar américain, de Bukowski ou de Crumley, l’un de ces mecs qui sont dans le grand nulle part. Mais des mecs comme cela, on en rencontre dans les bars. Ils sont là quand vous arrivez, n’ont pas bougé quand vous repartez. J’aime ce truc de client de bar, être au comptoir et puis collapser. J’ai toujours été fasciné par les gens qui réagissent à un temps qui n’est pas celui des autres. »

A propos de vérité, on ne peut s’empêcher de voir une part d’Edouard Baer dans chacune de ses apparitions, ce côté funambule, justement:  » Je ne crois pas dans la composition pure. Dans ce cas, autant prendre un autre acteur. Plus on a l’impression, soi, d’être large, plus on peut jouer des choses sincèrement tout en étant soi-même et faire croire que c’est un mec. Le défi est là: essayer de ne pas forcer ou inventer à tout prix… »

question de style

Interrogé sur ses envies, il concède guigner  » des personnages de comédie brillants. Trop de personnages de comédie sont drôles par en dessous, par la loose, l’échec. J’aimerais jouer un personnage très virevoltant, qui soit en quelque sorte le fils de L’incorrigible , de de Broca. Et j’aimerais faire un film au départ de la photo de 68 où l’on voit Daniel Cohn-Bendit fixer le flic qui va le frapper, un truc sur l’insolence…« .

Ce qui nous ramène, par ricochet, à une autre casquette d’Edouard Baer, réalisateur en son temps de La bostella et Akoibon.  » Il me faut deux ans pour me réconcilier avec le public après chaque film, mais c’est passionnant. J’ai monté des spectacles entre-temps, parce que je me suis aperçu que j’avais du mal à travailler l’image à la caméra, je crée plus facilement des images sur scène. Mon troisième film? Deuxième tiroir à droite. Cela va avoir lieu, mais pas tout de suite. »

Au fait, quel regard porte-t-il sur son parcours diversifié?  » J’ai l’impression que cela définit un petit univers, reconnaissable. Il y a parfois un risque de redite – quand c’est raté, on dit que c’est une manière, et quand c’est réussi, on dit que c’est un style -, mais même si c’est à approfondir ou à améliorer, il y a une cohérence. Pas forcément dans les choix, mais ce n’est pas très grave de se tromper: je préfère avoir un film raté qu’un film pas ambitieux. » Le style, à défaut de la manière, en somme.

RENCONTRE JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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