Il n’existe que deux photos connues du fondamental bluesman Robert Johnson. Une troisième pourrait avoir été découverte. Mais là, le mythe croise les considérables enjeux du business…

Googleisez « Robert Johnson bluesman » et vous trouverez deux images de ce musicien américain noir, synonyme de légende absolue. Pas trois ni quatre: deux. Malgré sa courte vie fulgurante (1911-1938), Johnson est considéré comme le musicien le plus essentiel de l’histoire du blues par Clapton, Dylan et d’autres l’ayant découvert via une première compilation de ses £uvres parue en 1961. Sa vie sulfureuse scellée par « un pacte avec le Diable » s’est précocement terminée par un probable empoisonnement au whisky frelaté. En tout, Johnson n’a livré en pâture publique que vingt-neuf chansons et ces deux foutues photos: l’une cadre la tête, la clope au bec, et une partie de la guitare, l’autre, un peu plus large, permet aussi d’observer la longueur impressionnante de ses doigts enserrant le manche de guitare. Ces deux images ont traversé septante ans d’histoire américaine, Johnson devenant une vedette commerciale majeure un demi-siècle après sa mort via un coffret de 1990 – Robert Johnson: The Complete Recordings – vendu à plus d’un million d’exemplaires, rien qu’aux Etats-Unis.

Et puis, récent coup de théâtre, une troisième photo du mythe existerait. Dans sa dernière édition, le prestigieux magazine US Vanity Fair mène une passionnante enquête de plusieurs pages en partant d’un – supposé – cliché de Johnson acheté en 2006 sur eBay par un vendeur de guitares de New York, Zeke Schein(1).

FBI et HBO

C’est moins la qualité de cette troisième image qui impressionne -Johnson y pose en costard aux côtés d’un autre type -, que ses aléas et ses enjeux. Schein a montré la photo à des musiciens contemporains de Johnson l’ayant fréquenté. Ils ne l’ont pas reconnu. Il a passé deux années à tracer les témoins potentiels – ou leurs héritiers – en quête d’une certitude absolue autre que l’intime conviction et l’étude approfondie de tous les détails de l’image, y compris ceux de la guitare que Johnson porte dans ses bras. Sans un résultat qui soit absolument probant. Jusqu’au moment où une enquêtrice du FBI, spécialiste de la médecine légale, confirme que les paramètres du visage de Johnson sur les deux photos classiques matchent avec ceux de la troisième. Claud Johnson, reconnu « fils de » sur le témoignage d’une femme ayant vu son père supposé et une femme faire l’amour en 1931 dans une forêt du Mississippi, neuf mois avant sa naissance (…), a, du bout des lèvres, authentifié le cliché. Sans pouvoir le faire officiellement: Claud a déjà cédé son « exclu » auprès d’HBO pour un biopic relatant son histoire et celle de son père. Mais légalement, l’utilisation de la photo est désormais de son ressort. Non seulement, Robert Johnson ne pouvait avoir aucune idée de l’extraordinaire impact de ses « malheureuses » vingt-neuf chansons sur la culture des 20 et 21e siècles, mais il était loin d’imaginer, ne fût-ce pendant une nano-seconde, que deux ou trois portraits banalement pris dans les années 1930 au c£ur de l’Amérique rurale, noire et pauvre, seraient l’objet d’aussi considérables négociations de fric, d’enjeu artistique et éthique. Parfois, une image n’a vraiment pas de prix.

(1) www.vanityfair.com/culture/features/2008/11/johnson200811

LA CHRONIQUE DE philippe cornet

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