Entre 1978 et 1983, inspiré par la réussite du Studio 54, Le Palace définit les nocturnes parisiennes, entre décharges de rock électrique et poses de beautiful people. Sans pour autant exclure le commun des mortels. Gainsbourg y fit son légendaire retour scénique.

Si une boîte se définissait par la liste des gens qu’elle avale chaque semaine, Le Palace aurait fait un sacré bottin mondain. Pendant ses 5 années les plus flamboyantes, il engrange des noms à la Mick Jagger, Karl Lagerfeld, Andy Warhol, Roland Barthes, Yves Mourousi (…), Thierry Ardisson, Yves Saint Laurent, Pierre & Gilles et une armée de célébrités franco-internationales. Isolé, ce casting-là ne ferait du Palace qu’un pâté de people en gelée rassemblés dans un lieu dont c’est la vocation exclusive. Ce n’est pas le cas. Le grand public, celui qui ne débauche pas forcément les nuits à coups de Moët, découvre l’existence de ce vieux music-hall relifté lors des concerts de Gainsbourg. Du 22 au 31 décembre 1979, le chanteur quinqua, pas encore gainsbarrisé jusqu’à la caricature, s’y produit en compagnie des reggaemen jamaïquains: l’événement est à la fois populaire et mondain, double métaphorique du Palace. La musique vibre de l’époque, reggae bien sûr mais aussi rhythm’n’blues vivifié et fantômes groovy de l’ancienne chanson française revisitée ( La javanaise). De son côté, Prince, le Jésus du funk en personne, débarque sur la scène même du Palace le 3 juin 1980. La salle est peu garnie mais les fans ne sortent pas indemnes du paysage offert ce soir-là: torse nu, caleçon et jambières noires, Prince vend de la sueur au kilo-groove, de l’extase en décibel. Toutes ces musiques alliées au rock bercent les soirées habituelles du lieu inauguré en 1921 alors que Paris vit ses outrageuses Années Folles. Pas un hasard: Fabrice Emaer, nouveau propriétaire du Palace, est routinier de la nuit branchée – l’épithète est alors nouveau… – et après une boîte exclusive ( Le Sept), il veut glisser dans ce large espace à stucs du Faubourg Montmartre quelques rêves baroques plus larges. Successivement music-hall, cinéma et théâtre, Le Palace est alors redécoré à (très) grands frais façon années 30. Quand il s’ouvre le 1er mars 1978, c’est avec le show négro-futuriste de Grace Jones mis en scène par Jean-Paul Goude. Les serveurs, pas en reste dans la surenchère de look, sont habillés de flamboyantes tenues conçues par Thierry Mugler. D’emblée, la signature Palace est là, mixte de mode, de pose et de bonne musique. A l’unisson d’une époque de fin des seventies, où la société française combine un code social néo-libéral – on est sous Giscard – avec des soubresauts punk/new wave. Au Palace, ce mélange unique de vibrations underground et d’un certain consumérisme français fabrique un style, des attitudes. Une histoire qui produit un renouveau décadent.

Sur les murs, comme un insecte

Dites décadence et pensez à toute cette bande de poseurs, demi-mondains de vocation, glandeurs stakhanovistes, pique-assiettes néo-punks, cette faune barricadée nuit après nuit au Palace. Paquita Paquin, Elodie Lauden, la première égérie punk, Edwige et puis l’inusable Alain Pacadis, 30 ans en 1979. Au Palace, ce dernier use ses nuits à contempler les étoiles qu’il ne veut pas voir dans le ciel naturel. Il est l’un des thermomètres actifs du lieu: insecte dévoreur de ragots, il passe ses nuits collé aux murs et tables de la chic discothèque, noyant son ennui endémique dans les verres qu’on veut bien lui offrir. Maigre au physique ingrat, pas très porté sur l’hygiène, le Pacadis possède néanmoins une belle plume caustique pour des articles d’anthologie dans le Libération grande épo- que et un bouquin testament de ces années-là, Nightclubbing. Chroniqueur fauché, PD affirmé, Pacadis a un moment rêvé au Grand Soir militant avant de penser que la révolution serait esthétique et se ferait entre vodka et ligne de coke, sous les stucs du Palace. Pacadis écrit dans le très snob Façade, et dans le magazine créé par Emaer, simplement baptisé Palace. Il est d’autant plus impliqué que la boîte est aussi un haut lieu de la gay attitude parisienne. Pacadis, c’est une faune pas en reste de flore. Celle-ci prend la poudreuse -héro, coke – à laquelle s’ajoute un autre virus mortel, le sida. Pacadis n’en mourra pas, victime en 1986 de sa compagne transexuelle, accusée de l’avoir étranglé au petit matin. Grandeur sordide, le Palace des années de gloire sera le refuge de beaucoup de nightclubbers forcenés qui, le plus souvent, ne sont pas grand-chose en dehors de leur quart d’heure de célébriténocturne. Peut-être pour donner de l’air aux stars qui font la réputation de sa boîte, Fabrice Emaer crée en 1980, au sous-sol du Palace, Le privilège, établissement privé réservé à ses clients favoris et fortunés. Sous la décoration de Gérard Garouste, fêtes et parties fines s’y multiplient. Les dettes également: Le Palace ferme une première fois à la fin de l’année 1982 mais ne résiste pas vraiment à la disparition d’Emaer, emporté par un précoce cancer en 1983, à l’âge de 48 ans. Un quart de siècle après cette flamboyance, Le Palace, un moment transformé en squat, puis en temple de la House, longtemps à l’abandon ou en déshérence, a fini par rouvrir sous le sceau d’un renouveau affirmé. Propriété de 2 hommes d’affaires belges d’origine albanaise, il a redémarré une nouvelle vie le 8 décembre 2008 avec un set DJ de Daddy K, chipoteur de disques à la bonne réputation, issu du trio variété rappé Benny B. Mais vous êtes fous? Non.

Les photos de Karl Lagerfeld, Mick Jagger et Yves Saint laurent sont tirées du livre de Philippe Morillon, Une dernière danse? journal d’une décennie, 1970/1980, paru aux éditions 7l-Steidl, 240 pages.

Texte Philippe Cornet

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