Par les lueurs

Mounir Fatmi, Jusqu'à preuve du contraire. © NICOLAS LOBET

La Fondation Boghossian dissout les ténèbres à la faveur d’une exposition-phare sondant 60 années d’expérimentations plastiques autour de la lumière.

D’emblée, une oeuvre minimale formant un long aphorisme rubis tracé à la lampe néon – ON COLOR (RED) (1990) de Joseph Kosuth (Toledo, 1945)- invite le regardeur à interroger intellectuellement la nature de la lumière et de son corollaire, la couleur. Ensuite, c’est une pure merveille signée Mounir Fatmi (Tanger, 1975) qui l’incite à expérimenter physiquement le coeur du propos de cette exposition à visée immersive. Si la déconstruction cérébrale du pionnier américain de l’art conceptuel séduit, elle n’arrive pas à la cheville de ce Jusqu’à preuve du contraire (2012), pièce ouverte qui reste comme l’une des meilleures du plasticien marocain. Formée elle aussi de tubes luminescents, celle-ci s’apparente à un totem étincelant dont on ignore le sens: procède-t-il d’un mouvement descendant, à la façon d’une révélation divine, ou ascendant, comme un besoin humain d’élévation et de spiritualité. Mais c’est probablement à un autre niveau que cet agencement suspendu à la verrière du bâtiment opère. En faisant graver la sourate 24 du Coran -celle qui porte le nom de « La Lumière »- à même les cylindres lumineux, Fatmi impose la nécessité de la juste distance au visiteur. Telle l’histoire des papillons de nuit et de la bougie dans Le Cantique des oiseaux de Farîd al-Dîn Attâr, l’installation fonctionne comme un piège visuel: trop proche, on n’y voit plus; trop loin, on n’y voit rien. Difficile de mieux aborder cette problématique se déclinant par la suite au travers du traitement que lui imposent 19 artistes, répartis au fil de 19 salles. Le tout pour une proposition, la cinquième, qui est peut-être la meilleure de la directrice de la Villa Empain, Louma Salamé.

Halo, halo

En passant à l’étage supérieur, c’est Ann Veronica Janssens (Folkestone, 1956) qui ralentit les flux dans la cage d’escalier. La projection de Scrub Color (2006) donne le vertige. Boucle visuelle d’aplats géométriques de couleurs pop, la vidéo hypnotise avant d’irriter. Il s’agit en réalité d’une sorte de gymnastique du regard à ce point éprouvante pour l’oeil qu’elle peut faire accélérer le rythme cardiaque de qui la regarde. Il ne fait aucun doute que l’antidote à ces épuisantes modulations se traque dans une oeuvre, remarquable comme toujours, de James Turrell (Los Angeles, 1943). Avec Aquarius, Medium Circle Glass (2019), l’Américain signe l’un de ces environnements perceptuels dont il est familier. À l’aide de lampes LED, Turrell extirpe d’un espace clos ces sensations de plénitude que l’on associe au coucher du soleil ou à la contemplation d’un ciel d’altitude. D’autres halos remarquables sont à ne pas manquer. Qu’il s’agisse des ballons d’Adrien Lucca (Paris, 1983), dont le chromatisme changeant impose de s’interroger sur l’origine de la couleur; de la lanterne magique de Mona Hatoum (Beyrouth, 1952), qui croise enfance et images cauchemardesques; ou encore de l’ombre menaçante d’un mirador de Nadia Kaabi-Linke (Tunis, 1978), à la fois partout et nulle part. Enfin, on ne quitte pas les lieux sans faire un détour par le sous-sol où il est question d’une immersion au coeur du patrimoine menacé de la ville d’Alep ( lire notre compte-rendu sur focusvif.be). Tout aussi brillant.

The Light House

Fondation Boghossian, Villa Empain, 67 avenue Franklin Roosevelt, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 18/04.

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www.villaempain.com

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