Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le retour des Mutants – Os Mutantes revient avec son délire brésilien, collage de pop psychédélique et de fulgurances baroques. Beck, Byrne et Devendra Banhart adorent. Nous non plus.

« Haih Or Amortecedor »

Distribué par Anti/Pias.

En 1973, Arnaldo Baptista, bassiste-claviériste-vocaliste au sein d’Os Mutantes, est interné dans une institution psychiatrique. Il vient de quitter le groupe fondé 7 années plus tôt à São Paulo avec son frère Sergio et la chanteuse Rita Lee. Et il paie cash l’engagement dans une aventure, à plus d’un titre, complètement psychédélique. En cause: l’abus de consommation de LSD mais aussi la pression persistante de la junte militaire qui s’est emparée du pouvoir au Brésil. Elle réprime toute velléité libertaire et a déjà condamné à l’exil (londonien) Gilberto Gil et Caetano Veloso. Pour contourner la censure, Os Mutantes recouvre ses mots douteux de sonorités barges et déguise sa pop en grand théâtre illuminé. La junte n’y voit que du feu et le public brésilien exulte devant ce mix d’influences beatlesiennes et de folie tropicaliste, du nom du mouvement multi-disciplinaire animé entre autres par le grand Tom Zé. L’influence du groupe – qui se dissout après un dernier album commun en 1974 – va perdurer à domicile et essaimer ailleurs, surtout chez les Anglo-Saxons. En 1993, en tournée au Brésil, Kurt Cobain tente – en vain – de joindre Os Mutantes et écrit une lettre très personnelle à Baptista. Malgré son CV de scientologue – pas exactement le symbole de l’indépendance d’esprit -, Beck est bluffé par les Mutants de São Paulo, prouvant avec son propre album Mutations (1998) qu’il leur doit beaucoup, rayon collage sonique. Une des chansons s’appelle d’ailleurs Tropicalia, allusion au mouvement du même nom… En 1999, David Byrne contribue à les faire redécouvrir via une réédition sur son label Luaka Bop.

Patchwork supersonique

Le retour d’Os Mutantes s’est orchestré en plusieurs étapes: d’abord scénique, lors d’une triomphale tournée anglo-américaine en 2006, effectuée sans la chanteuse originelle. L’année suivante, c’est Arnaldo Baptista, l’ex-interné, qui tire sa révérence. Reste désormais son frère, Sergio Dias Baptista, aux commandes du nouveau disque et de ses 13 titres juteux. Ils renouent avec cette manière de dompter une indiscipline apparente dans des formats qui se rapprochent de la pop, version mutante. Un truc fiévreux qui entame le disque par un discours à la soviétique (?) et le conclut par le même, mais mixé avec des bribes d’hymne national US jouées en fanfare. Dans ce collage hors pair, les guitares boivent de l’acide et les mélodies, bien que planquées derrière une jungle touffue, refusent de mourir. Pour exemple, on peut citer 2000 e Agarrum: la chanson débute à la manière d’un conte accéléré pour enfants – ou une blague à la Spike Jones – puis se transforme en néo-boléro (?) caressant. Elle poursuit alors sa route en fusionnant les deux… Le truc d’Os Mutantes est de mêler des univers différents, parfois franchement étanches, et d’en faire une troisième voie sonore tendant vers l’harmonie. Ce disque audacieux, fun et charnel – la combinaison est assez rare – reçoit aussi la visite des 2 grands Brésiliens Tom Zé et Jorge Ben. C’est dire que l’événement est d’importance.

www.osmutantes.com

Philippe Cornet

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