Ombres et brouillard

La Maison de la mort

ENTRE 1932 ET 1933, QUATRE FILMS DE L’ÂGE D’OR DE L’HORREUR PAIENT LEUR DÛ À L’EXPRESSIONNISME ALLEMAND.

La Maison de la mort

DE JAMES WHALE. AVEC BORIS KARLOFF. 1932. DIST: ELEPHANT FILMS.

Double assassinat dans la rue Morgue

DE ROBERT FLOREY. AVEC BELA LUGOSI. 1932. DIST: ELEPHANT FILMS.

L’Île du docteur Moreau

D’ERLE C. KENTON. AVEC CHARLES LAUGHTON. 1932. DIST: ELEPHANT FILMS.

Le Fantôme vivant

DE T. HAYES HUNTER. AVEC BORIS KARLOFF. 1933. DIST: ELEPHANT FILMS.

7

« De l’horreur, des ombres et du sang noir« , annonce le survolté Jean-Pierre Dionnet dans l’une de ces intros dingos dont il a le secret. Un épais voile de brouillard moral aussi, serait-on tenté d’ajouter s’agissant de ces quatre films de genre de l’âge d’or hollywoodien aujourd’hui exhumés en DVD/Blu-ray par Elephant Films. Nous sommes en 1932, en effet, soit deux ans à peine avant l’application du fameux code de censure Hays: il y a donc de l’audace au menu de ces oeuvres enténébrées marquées du sceau de l’expressionnisme allemand.

James Whale vient de réaliser Frankenstein quand il s’attaque cette année-là à La Maison de la mort, également produit par Carl Laemmle pour la Universal. Dédale (dé)structuré autour de la verticalité de ses escaliers, la vieille bâtisse qui noyaute son glaçant récit horrifique y est envisagée comme un grand corps malade et, mieux, comme l’espace mental, symbolique, de toutes les déviances -celles de sa famille d’hôtes dégénérés qui préfigure déjà en un sens celle du Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper. Le temps semble s’y dilater étrangement tandis qu’au dehors la tempête fait rage, prétexte à un huis clos tout en jeu inquiétant sur les ombres portées.

Celles-ci font également le sel, la même année, d’un Double Assassinat dans la rue Morgue inspiré par le classique de Poe qui rejoue le thème éternel de la belle et la bête, la seconde enlevant la première à des fins que l’on pressent lubriques. Le plan iconique de l’ombre de la main du singe Erik, à la solde du terrifiant Dr. Mirakle, projetée sur le corps allongé de la jolie Camille suggère en effet la possibilité d’infamants ébats inter-espèces. Les mouvements de caméra sont fluides, le montage parfois nerveux et les angles de vue étonnants, le mémorable final qui voit le gorille dans la brume d’un Paname recréé trimballer la jeune femme de toit en toit annonçant bien sûr le King Kong de Schoedsack et Cooper.

1932, toujours: le thème du savant fou, incarné par Bela Lugosi dans Double Assassinat, traverse aussi L’Île du docteur Moreau, adaptation de H.G. Wells qui offre l’un de ses plus beaux rôles au débonnaire Charles Laughton, le futur réalisateur de La Nuit du chasseur. Celui du métissage entre l’homme et l’animal également, sujet d’étude du scientifique au complexe prométhéen et enjeu crucial d’une étreinte entre un naufragé et une femme panthère découvrant dans les larmes les turpitudes du sentiment amoureux. Le directeur photo de L’Aurore de Murnau traque la vibration de la lumière jusque dans les recoins les plus sombres de la jungle post-expressionniste où le film s’achève en un climax brutal.

Plus anecdotique enfin, Le Fantôme vivant (1933), seul film du lot à ne pas porter le label Universal, s’inspire de La Momie et de La Maison de la mort pour accoucher d’une histoire tarabiscotée de tombeau égyptien dans un cottage anglais. Notable particularité: il s’agit là du premier film britannique à avoir été classé H comme Horrifique. Quelques mois plus tard, le H de la Hammer se chargera d’en perpétuer la flamme. Jusqu’à nos jours.

NICOLAS CLÉMENT

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