Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LE CENTRE POMPIDOU PROPOSE UNE TRAVERSÉE INÉDITE DE L’oeUVRE MÉLANCOLIQUE ET HYPERMNÉSIQUE DU PLASTICIEN ALLEMAND ANSELM KIEFER.

Anselm Kiefer

CENTRE POMPIDOU, À 75 004 PARIS. JUSQU’AU 18/04.

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Il y a quelque temps de cela, à la demande de l’hebdomadaire français les Inrockuptibles, Arnaud Desplechin s’exprimait sur le film Le Fils de Saul de Laszlo Nemes. « Qu’on l’aime ou pas, ce jeune homme a conquis quelque chose dans le champ visuel. Sur une question donnée, il a fait avancer la représentation », expliquait très à propos le réalisateur français. A la suite de Theodor Adorno et son célèbre « Toute culture consécutive à Auschwitz y compris sa critique urgente n’est qu’un tas d’ordures », cette victoire n’est pas anodine, elle s’inscrit à la suite du travail de Kiefer. Au contraire de ce qu’a pu démontrer le peintre, le philosophe allemand pensait qu’il n’y avait qu’une seule réponse à donner au désastre de la Shoah, ce « trou noir parmi nous »: la production d’oeuvres d’art épousant un idéal sombre, doublé d’une volonté d’abstraction et d’appauvrissement en « bord du silence ». Respectée à la lettre, cette injonction se serait avérée mortifère: un cinéma à jamais muet et noir et blanc, une peinture radicalement monochromatique et couleur d’ébène. Tout cela répété à l’infini. Qu’il s’agisse de Nemes ou de Kiefer, tous deux ont eu à coeur d’oser « imaginer l’inimaginable », de le rendre visible. Cette attitude traverse l’oeuvre du plasticien allemand de part en part, dont la grande question est: comment faire oeuvre après Hitler? Dès le début des années 70, Anselm Kiefer, né en 1945 dans un pays encore en guerre, a fait acte d’impureté. Habillé de l’uniforme militaire nazi de son père, il part « occuper » des lieux symboliques en France, en Belgique et en Suisse. A l’époque, l’Allemagne était en plein déni de son histoire récente, plus personne n’évoquait le totalitarisme hitlérien. A travers cette performance, Kiefer endossait ce que le passé avait fait de lui, un enfant, involontaire mais coupable aux yeux de tous, du nazisme. Il s’agit rien de moins que du certificat de naissance des canons kieferiens de la création marqués par la perte.

Melencolia

La perte débouche sur une autre dimension de son oeuvre systématiquement évoquée par l’Allemand: la mélancolie qu’il emprunte à une autre figure germanique majeure, Albrecht Dürer. Mélancolie d’une culture entachée par l’instrumentalisation qu’en a donné le nazisme, mais également mélancolie d’une culture juive à laquelle vient s’ajouter une méditation sur la ruine comme principe de création. Ce profond sillon thématique, Kiefer l’amplifie à travers la multiplication des supports, de la peinture à la sculpture, en passant par la gravure et le livre d’art. Pour en faire prendre toute la mesure, le Centre Pompidou a mis les petits plats dans les grands, soit 150 oeuvres réparties sur 2 000 m2. Parmi les oeuvres, de véritables monuments de la peinture contemporaine: Ressurexit (1973), Quaternität (1973), Varus (1976) ou encore Für Paul Celan: Aschenblume (2006). Autant de tableaux qui ont marqué le regard et qui appartiennent déjà aux plus belles pages de l’Histoire de l’art. Parmi les temps forts, il faut également mentionner l’une de ses imposantes « maisons », installation-abri conçue à la façon d’un espace d’exposition propre. On découvre cette « maison tour » dès l’entrée dans le Forum. A l’intérieur, elle se présente comme une vertigineuse déclinaison autour d’un incontournable de la palette Kiefer, le plomb. Quel autre matériau en effet peut aussi bien combler le moule de la perte?

WWW.CENTREPOMPIDOU.FR

MICHEL VERLINDEN

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