Le grandiose Odelay de 1996 est réédité dans une riche version gorgée d’inédits. A l’époque de sa parution, Beck ne parlait pas de la scientologie. On sait désormais qu’il en est membre. Comment l’appréhender?

Quand Beck apparaît en 1994 avec son premier album officiel Mellow Gold, et l’improbable tube Loser, il impose d’emblée son style. Un tchouka-tchouka truffé d’artillerie sonore bizarroïde, de funk handicapé et de hip-hop indie. Un catalogue de microbes urbains transformé en pépites pop. Son chef-d’£uvre Odelay de 1996 est aujourd’hui réédité en double CD et on sait maintenant ce qui était tu à l’époque: Beck est scientologue. D’une seconde génération de pratiquants, tout comme sa compagne actuelle Marissa Ribisi. Le père de Beck, David Campbell, musicien professionnel, et sa mère, Bibbe Hansen, « bohémienne chic », ayant fréquenté la clique d’Andy Warhol, adhèrent à cette conviction au début des années 70. Beck est né au domicile californien parental, pas à l’hôpital, dans la droite ligne de l’idéologie de L. Ron Hubbard (1911-1986), le fondateur de l’Eglise de scientologie (1). Celle-ci est considérée comme une secte dans de nombreux pays, notamment en Allemagne ou en Belgique, qui attaquent l’organisation en justice pour des délits majeurs (extorsion, escroquerie, organisation criminelle). La scientologie est couramment dénoncée pour son racket commercial vis-à-vis de ses membres et pour ses pratiques douteuses en matière de restriction des libertés fondamentales et d’endoctrinement de ses pratiquants. A ceux qui l’attaquent ou l’abandonnent, l’Eglise répond par un arsenal de pressions. Aux Etats-Unis, l’Eglise a pignon sur rue et débauche les stars ( voir encadré). Comment un artiste aussi libertaire et original que Beck peut-il adhérer à une telle forme de coercition intellectuelle, financière et pseudo-scientifique? Dans l’espoir de comprendre, on réécoute Odelay, le CD original considérablement enrichi d’inédits, remix et prises alternatives: c’est remarquable, jamais linéaire, absolument tourbillonnant. Beck écrit ses paroles comme on sculpte de l’art abstrait, à coups d’éclats de voyelles. Plusieurs textes d’ Odelay ( The New Pollution, Devil’s Haircut) sont en yaourt, des paroles provisoires mises pour faire « sonner » la chanson, théoriquement avant leur remplacement par un texte définitif. Qui, dans ce cas-là, est resté en rade. Donc, pas de « sens caché » en vue: Beck ne nous endoctrine pas sur la dianétique et autres théories fumeuses d’Hubbard. Question foutoir, la musique n’est pas en reste: d’essence organique, hors-catégorie, elle apparaît à l’opposé des codes stricts des scientologues, même si le délire est des deux côtés! Alors, tout va bien? Pas vraiment.

UNE DRôLE D’AFFAIRE

Pendant longtemps, la relation de Beck avec la scientologie a été passée sous silence. Après avoir fréquenté l’Apple School de Los Feliz (quartier de L.A.) – tenu par les scientologues -, Beck suit des cours (payants) à l’Eglise entre 1986 et 1989. Au moment où sort Odelay, ses interviews évitent le sujet et parlent davantage de l’origine juive de sa mère, ainsi que de son grand-père paternel, pasteur presbytérien au Kansas. Le succès d’ Odelay change sensiblement la donne: en 2003, on retrouve Beck dans la liste de donateurs listés par le magazine de l’Eglise comme Sponsor For Total Freedom: 5 000 dollars est le prix du ticket d’entrée à cet honneur. L’année suivante, Beck donne un concert de bienfaisance à la Knitting Factory de Los Angeles pour la « mission de Los Feliz » qui  » combat l’analphabétisme et la toxicomanie« . La mission est, bien évidemment, scientologue. En mars 2005 seulement, Beck reconnaît pour la première fois ses convictions dans une interview donnée au New York Times Magazine, précisant la nature  » humaine » de l’Eglise, son  » travail pour les pauvres et contre la drogue« . Des arguments mille fois entendus. En intégrant la scientologie, Beck abaisse le niveau d’humanité de sa musique et en nie ses éclats de liberté. Du coup, il se décrédibilise et nous met dans l’embarras. Doit-on exiger l’embargo, crier au Beckcomme on hurle au loup? On peut commencer par s’interroger sur l’impact de ses convictions. Moins sur ses tentatives de prosélytisme envers Thom Yorke et Nigel Godrich – qui ont décliné – que sur une affaire révélée en janvier par Vanity Fair (http://www.vanityfair.com/culture/features/2008/01/suicides20080). Le magazine raconte qu’un couple d’artistes new-yorkais s’est suicidé, visiblement dans la terreur d’être persécuté par la scientologie. Beck les connaissait, avait travaillé avec eux, devait apparaître dans leur film de fiction avant de renoncer. Cette histoire bizarre, l’adhésion tue puis défendue de Beck à une organisation condamnée à de multiples reprises pour ses escroqueries et ses violations des droits de l’homme, nous donnent des raisons d’être inquiets pour Beck. Odelay n’est pas, à proprement parler un « disque scientologue » mais son géniteur l’est et cela nous laisse un drôle de goût en bouche…

Double CD Deluxe Edition Odelay chez Universal (1) une foule de documents sur Internet, notamment sur prevensectes.com

TEXTE PHILIPPE CORNET

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