L’après train-train – Entre douce excentricité et dÉrÈglements du quotidien, Bent Hamer impose un regard joliment dÉcalÉ sur le monde. Chaleur et humour À froid…

De Bent Hamer. Avec Bard Owe, Espen Skjonberg, Ghita Norby. 1 h 30. Sortie 28/01.

C’est l’histoire d’un homme dont la vie présente autant d’aspérités qu’un indicateur des chemins de fer. Et pour cause: voilà 40 ans, en effet, qu’Odd Horten conduit des locomotives sur la ligne reliant Oslo à Bergen. Autant dire une éternité, ferroviaire et autre, gouvernée par la routine, Horten s’autorisant, pour seules excentricités, la bière export qu’il déguste silencieusement à l’auberge du coin, et cette pipe qui semble ne jamais vouloir quitter ses lèvres. Jusqu’au jour où, rattrapé par le cours d’une existence qu’il a négligé de vivre, le cheminot voit sonner l’heure de la retraite.

S’il n’en laisse rien paraître, recouvrant comme chaque fois soigneusement la cage du canari au moment de quitter son appartement, avant d’enchaîner méthodiquement des gestes encore et encore répétés, Odd en conçoit pourtant quelque émotion: après une fête qu’il honore de sa présence muette, les imprévus se multiplient, si bien que son dernier train est aussi le premier qu’il lui arrive de rater. Le début d’une série d’événements insolites venus chahuter son absolue normalité…

Sorti en 2003, Kitchen Stories révélait un auteur singulier en la personne du cinéaste norvégien Bent Hamer, qui signait là un modèle de comédie décalée au laconisme burlesque. Le voilà qui remet ici le couvert, avec un film qui passe une existence morne à la moulinette de menus dérèglements – un exercice hautement savoureux, même si pas dénué d’une certaine mélancolie rappelant celle d’un Kaurismaki par exemple.

On y rÊve comme on vit, seul

Au-delà de son incontestable drôlerie, O’Horten adopte en effet des tonalités douces-amères: on y rêve comme on vit, seul, pour autant d’ailleurs que l’on n’ait pas oublié d’exister, trop occupé à contempler la fuite inexorable du temps. Même si, porté par une évidente empathie pour ses personnages, le réalisateur veille aussi à ne pas les enfermer dans un destin par trop étriqué.

Et déploie, en guise de cadre, un univers gentiment excentrique, où l’on croise des sauteuses à ski d’un âge respectable comme de faux diplomates qui sont par contre de vrais inventeurs. Et où si les chutes sont nombreuses, il se trouvera (presque) toujours quelqu’un pour tendre une main secourable. A moins qu’il ne s’agisse d’un conducteur aveugle venu ouvrir les yeux de son passager. C’est dire qu’il y a là une substance résolument stimulante, ajoutant à une coloration intensément absurde un éventail de multiples possibles.

Film de peu de mots, et même laconique, évoquant par moments joliment le cinéma de Tati, O’Horten impose, tout en finesse et en impressions feutrées, un regard décalé sur le monde. Et réussit, séduisant paradoxe, à dispenser une réconfortante chaleur en s’appuyant sur un sens aiguisé de l’humour à froid. Une £uvre vibrante, pour un voyage, à bien des égards, enchanteur.

www.ocean-films.com/ohorten

Jean-François Pluijgers

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