SONIC YOUTH DANS LE COMA, YO LA TENGO EST BIEN DEVENU AUJOURD’HUI L’ULTIME GROUPE INDIE ROCK NEW-YORKAIS. LA PREUVE AVEC LEUR NOUVEL ALBUM, LE BRILLANT FADE.

Ira Kaplan est rassuré. Quand on le rencontre dans un café bruxellois, en pleine tournée promo européenne, l’ouragan Sandy vient de balayer une bonne partie de New York et d’Hoboken, en périphérie. « J’ai eu mes proches au téléphone. Personne ne sait ce qu’on va trouver quand les eaux redescendront, mais ça va, tout le monde est en sécurité. » Deux mois plus tard, on réécoute Fade, 13e album du groupe, et l’impression que la musique colle parfaitement à l’événement persiste: comme un lendemain de tempête, quand un soleil étincelant éclaire les ruines d’une lueur bienveillante. Le chaos est là, mais l’espoir et la confiance aussi.

Yo La Tengo a toujours pratiqué le double mouvement: fulgurance bruitiste d’un côté, éclaircie pop de l’autre. Presque 30 ans que cela dure, pour un quasi sans-faute. A ce stade-ci, le groupe aurait déjà dû soit jouer dans des stades style Stones ou U2; soit voir son impact médiatique limité à de simples chroniques d’album polies. Avant de tenter forcément l’ultime pirouette: le split, suivi quelques années plus tard de la tournée de reformation et de l’album de la renaissance? On soumet l’idée. Ira Kaplan se marre: « Vous connaissez le film Bedazzled? (film de Stanley Donen, dans lequel le héros passe un pacte avec le diable, celui-ci lui proposant de réaliser sept souhaits en échange de son âme, ndlr) Mon souhait à moi a toujours été d’être dans un groupe, pas de devenir célèbre. J’aimerais vendre des disques, mais ce n’est pas pour cela qu’on a commencé tout ça. »

Yo La Tengo est donc toujours ce miracle de groupe rock, formé par Ira Kaplan, Georgia Hubley et James McNew, en 1984. « Yo La Tengo, c’est vraiment nous trois. Que l’on joue un titre comme I’ll Be Around ou que l’on lise un épisode entier de Seinfeld (rires). » Ce qui est réellement arrivé lors d’une récente tournée!… « On proposait chaque soir un intermède au public. Un spectateur pouvait faire tourner une roue sur laquelle étaient déclinés plusieurs thèmes. Par exemple: les chansons dont le titre commençait par un « s », ou un morceau de Condo Fucks, un de nos projets parallèles, ou encore, donc, une section « sitcom theater ». Finalement, un soir, à Chicago, la roue s’est arrêtée dessus. On a lu le script d’un épisode en entier. Au début les gens riaient, mais à la fin certains étaient à cran. On avait pourtant prévenu! (rires) Par la suite, sur d’autres dates, on a également joué un épisode de Bob l’éponge, ou un autre de la série Judge Judy dans lequel John Lydon est poursuivi par un batteur qu’il avait viré (rires). »

Langage commun

Ira Kaplan est un interlocuteur charmant, bavard, cultivant un second degré très new-yorkais. Il est par contre toujours aussi compliqué de creuser avec lui la signification des chansons de Yo La Tengo. Cela pourrait passer chez d’autres pour de la pédanterie. Chez Yo La Tengo, cette retenue tiendrait plutôt de la pudeur. On essaye tout de même. Car, quoi?, on intitule quand même pas un album Fade, son 13e, par hasard?

– « Oui, certainement… Mais même un titre en apparence aussi frontal que I Am Not Afraid Of You and I Will Beat Your Ass (disque de 2006, ndlr) a suscité des interprétations fort différentes. »

– Il y a cette fameuse citation de Neil Young, « It’s better to burn out than to fade away« …

– « Je vois ce que vous voulez dire (sourire).  »

– Vous confirmez?

– « … hmm, je vais laisser le disque parler pour lui-même (sourire). »

Réticent à creuser les pourquoi, Kaplan est par contre intarissable sur les comment d’un disque qui a été produit pour la première fois avec John McEntire (Tortoise). « Pour cet album, la seule chose dont on était plus ou moins cons-cient était qu’on voulait faire un disque assez court. » Même avec deux morceaux dépassant les six minutes, Fade est aussi du coup l’un des albums les plus pop d’un groupe pour lequel l’exercice semble toujours aussi vital. « Ecouter de la musique n’est plus aussi essentiel que quand j’étais jeune. Il fut un temps où la musique était présente à chaque seconde de la journée. Il y en a toujours beaucoup mais plus de manière aussi obsessive. Faire de la musique, par contre, c’est encore terriblement excitant. Bosser sur ce disque, partir de rien, créer quelque chose… c’est un truc génial, presque mystique. L’expérience est même meilleure aujourd’hui qu’à nos débuts. Parce qu’on se sent mieux par rapport à ce qu’on fait. On peut se permettre plus facilement d’évoluer sur la corde raide. Je n’ai pas toujours aimé ça, vous savez. Au début cela me faisait peur. Aujourd’hui, on le recherche presque. »

Avec les années, le rock, indie en particulier, reste-t-il pourtant un format valable? Est-il toujours capable de raconter des émotions, qui ne sont forcément plus celles « d’ados en colère »? « Le terme indie rock, d’abord, je ne l’utilise même pas moi-même. Ou alors sans réfléchir, ou quand un flic nous colle une amende, et nous demande quel genre de groupe on est (rires). Cela étant dit, oui, je pense que le rock reste un bon média pour nous. C’est notre langage commun, celui avec lequel on a grandi quand il n’y avait pas grand-chose d’autre, ni Internet, ni jeux vidéo… Pour moi, c’est une langue flexible, qui peut exprimer tout ce qu’on veut. C’est un langage plus malléable qu’on ne le pensait. »

C’est sans doute ce qui rend Fade toujours aussi frais et pertinent, typique de Yo La Tengo, sans jamais tomber dans la caricature. A ce propos, le trio s’est-il permis ici des choses jamais faites auparavant? « Je pense, oui. On l’espère. Mais même si l’on décide de réenregistrer note pour note un disque comme Painful, pour commémorer par exemple ses 20 ans, on trouverait toujours un truc qu’on n’aurait pas fait avant… En fait, même si l’on réussissait à le recréer note pour note, ce serait quelque chose qu’on n’a jamais fait avant (rires). »

YO LA TENGO, FADE, MATADOR. EN CONCERT LE 16/03, À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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