IL Y A 30 ANS, LES RADIOS PIRATES SORTAIENT DE LA CLANDESTINITÉ. EXEMPLE AVEC RADIO NOVA, ÉTERNELLE EXCEPTION CULTURELLE DE LA BANDE FM FRANÇAISE.

« Vous avez de la chance, je suis de bonne humeur », balance Fadia Dimerdji, mi-sérieuse, mi-goguenarde. Sur la porte vitrée du bureau, une image du Persepolis de Marjane Satrapi: 3 jeunes Iraniennes voilées, dont l’une porte un t-shirt  » Punk’s not dead! » (sic). On est bien chez Nova…

Trente ans que ça dure. Née en 81, la station française reste une anomalie sur la bande FM, un lieu à part, volontiers branchée, toujours curieuse. L’une des premières à avoir pu profiter de la libération des ondes permise par l’arrivée de la gauche au pouvoir. L’une des seules aussi à avoir su préserver en grande partie l’esprit originel des radios libres, ex-pirates. Soit un mélange de culot, de militantisme, d’idéalisme et de flamboyance. L’été dernier, la radio s’est encore amusée à organiser des free parties: une camionnette qui roule à travers Paris, avec, à son bord, une sono pour lancer la fête dans le premier endroit venu. La police arrive? Pas de souci, la fête se déplace ailleurs…

Les bandes magnétiques qui comblent les murs du bureau de Fadia Dimerdji ne racontent pas autre chose. Pilier de la station, la journaliste s’occupe des archives et tient une chronique politique dans la matinale. Dernier énervement en date: la victoire des islamistes aux élections tunisiennes. Question d’affinités. Elle-même est née à Oran, fille de diplomate ancien du FLN, qui passe son diplôme en biologie pour satisfaire le paternel: « Le prix de ma liberté. «  Milieu des années 70, elle débarque à Paris. Vie de bohème, la fille de l’ambassadeur fait les ménages, ou pas loin. Un jour, dans une librairie de la rue Dauphine, elle croise « les 2 Patrick », Leygonie et Vantroeyen. Avec d’autres camarades, ils ont lancé Radio Ivre. Une station pirate qui, comme des dizaines d’autres, est venue contester la mainmise de l’ORTF sur les ondes. Azur 102, Radio Continentale, Radio Onz’Débrouille; Radio Verte (hébergée un temps par l’écrivain Jean-Edern Hallier)… Le pouvoir se braque, harcèle les pirates (en janvier 78, la DST en arrête 11 d’entre eux)… Mais le mouvement résiste. « Pour éviter de se faire attraper, on changeait d’endroit tous les week-ends », explique Fadia Dimerdji. Elle-même y débarque un peu par accident. « Les Patrick étaient venus manger à la maison et avaient vu ma collection de disques de musique arabe: Oum Kalsoum, Fairuz… Ils m’ont demandé si je ne voulais pas les passer sur antenne. «  Un jour, elle se pointe donc dans le 11e, place Léon Blum, croyant y déposer simplement ses vinyles. L’adresse du jour: l’atelier d’un sculpteur. L’artiste lui montre la technique, les micros ( « euh, comment ça, les micros? »), puis prend la tangente, la laissant seule. « J’ai pris l’antenne, terrorisée. Le premier mot que j’ai réussi à dire, c’était: « Allo? « … «  Et de partir dans un grand éclat de rire. En attendant, L’arbre à merguez est né, émission alors unique sur les ondes monopolisées par les stations d’Etat.

Citizen Bizot

En 1979, François Mitterrand, candidat de la gauche, participe à un débat sur Radio Riposte. Quand il sera élu 2 ans plus tard, il ne tardera pas à libéraliser « l’éther ». Les 3 radios publiques doivent faire de la place aux autres voix de la bande FM. Radio Ivre est candidate, mais doit se regrouper avec un autre partenaire. Jean-François Bizot, patron du magazine Actuel, est dans les parages: Nova est né… L’association est évidente. « Il envoyait souvent ses journalistes participer à nos émissions. Et puis, quand on s’est retrouvés au tribunal, il s’est présenté comme témoin de moralité », raconte Fadia Dimerdji. Son implication va plus loin: il paie l’amende et va même jusqu’à allonger les 10 000 francs français nécessaires pour remplacer le matériel confisqué par la police. « Le soir même, on prenait un Palatino vers Milan pour racheter un émetteur. Le week-end d’après, les émissions reprenaient. « 

Agé de 63 ans, Bizot décédait il y a 4 ans d’un cancer. Mais c’est peu dire que son influence reste prépondérante. Un fantôme qui plane en permanence dans les couloirs de Radio Nova. Il faut dire que l’homme était épique, personnage excentrique et rabelaisien. Le « Citizen Kane de la presse underground », écrivait Libération à sa mort. Héritier d’une richissime famille lyonnaise, il a fait ses armes à L’Express, avant de racheter une revue de jazz confidentielle pour en faire LE magazine français de la contreculture des années 70: Actuel. La parution stoppe en 1976 pour reprendre en 79, moins baba, plus « moderne », carburant aux grand reportages. « Du coup, on en profitait aussi pour alimenter la radio. On filait des micros et des bandes aux journalistes qui partaient en reportage. » Untel part par exemple à Lagos pour parler de la crise du pétrole, et il revient avec des cassettes de Fela. « Bizot disait toujours: « Parle de ton expérience, et ne ramène pas ta science. » »

Le bonhomme est foncièrement curieux. Dès le départ, Nova passe de la world music -à l’époque, on parle de « sono mondiale ». Elle est aussi l’une des premières à ouvrir son antenne au hip hop. Bernard Zekri, l’homme qui a introduit le rap en France (la première tournée européenne d’Afrika Bambaataa), écrit pour Actuel, passe sur antenne. L’historique Dee Nasty a son émission sur laquelle apparaissent pour la première fois NTM, MC Solaar… Plus largement, c’est toute la branchitude parisienne qui va défiler pendant 30 ans dans les studios historiques du faubourg St-Antoine, d’Edouard Baer à Frédéric Taddéi, de Jamel Debbouze à Ariel Wizman…

30 h de direct

Aujourd’hui, Nova continue de s’agiter. On peut toujours y entendre ce « grand mix » typique, capable d’enchaîner The Rapture avec James Brown avant de passer un titre d’une fanfare municipale cubaine. « En termes d’audience, il n’y a pas d’ambition démesurée, explique Fadia Dimerdji. Le but est de rentrer dans nos frais. Après, pourquoi se formater plus? » La plupart des piliers sont toujours là: Jean Rouzaud (ex-Bazooka, le collectif de graphistes punk des années 70) occupe le bureau d’à côté, et Remy Kolpa Kopoul n’est pas très loin… Evidemment, les choses sont un peu plus simples aujourd’hui. « Plus besoin de se faire passer pour des journalistes de France Inter, rigole Fadia Dimerdji. On est devenus une jolie marque. «  Sous l’étiquette Novapress, sont ainsi regroupées plusieurs activités d’éditions (un magazine), discographiques (un label), ou de production (l’habillage d’Arte, des docus…), regroupées dans les nouveaux bâtiments de l’avenue Ledru-Rollin.

Au centre de l’atrium principal, couvert d’une pelouse en plastique, les mini-laptops sont alignés devant leur table de mixage. Trente au total. Ils serviront aux 30 journalistes de Nova qui prendront l’antenne le 11 novembre prochain, envoyés aux 4 coins du monde, pour fêter l’anniversaire de Nova. Le principe? Le 11/11 à 11 h, la radio lancera un grand direct de 30 heures. Toutes les heures, un journaliste prendra l’antenne dans un endroit de la planète où il sera 11 h, heure locale. Après tirage au sort, Fadia a hérité du dernier créneau: elle fermera la marche, depuis La Paz, Bolivie! Pour le moment, elle termine les derniers préparatifs, des étincelles d’excitation plein les yeux. « Quelque part, on est toujours des pirates »

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS, À PARIS

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