Notre lâcheté

Gangrené par une lâcheté coupable, le narrateur abdique très jeune tout espoir de trouver sa place parmi les autres. À quoi bon? Il vivra en marge de la famille, de la société. « Si généreux et noble qu’un anxieux soit au fond, il est condamné à la bassesse, et passera sa vie à trahir. » Indifférent au bien et au mal, d’une susceptibilité maladive, l’homme doute trop de lui pour croire encore en la dignité humaine, se sait condamné à vivre en tête-à-tête avec lui-même. Louvoyant entre dissimulation et hypocrisie, il passe quelques années de débauche auprès des prostituées, avant de se laisser entretenir par Paule, une femme vieille, obèse et riche, qui lui fait honte. Enfermés entre quatre murs, il ne leur reste plus qu’à user l’un de l’autre. « Maintenant je le sais: déchoir, c’est vivre dans la même chambre, dormir dans le même lit. C’est contracter toutes ces habitudes qui lient ensemble deux êtres qui se détestent. » Grincent alors les abominables compromissions. Commis littéraire puis premier vendeur chez Gallimard, Alain Berthier (alias Alain Lemière) n’a écrit qu’un seul livre. Ce roman (publié au Sans Pareil en 1930) signifie la fin des ambitions d’un jeune homme sondant la part renonçante de son être. La faiblesse pitoyable d’un homme qui finit par battre sa femme. On pense au cycle des Jeunes filles de Montherlant, dont le portrait acéré sur l’incompatibilité du couple aurait mariné sur l’étal du boucher de Gaspar Noé ( Seul contre tous). « Une distance infinie me sépare de l’être le plus voisin. Comment me quitterais-je? » À lire d’une traite, le souffle coupé.

D’Alain Berthier, éditions Le Dilettante, 128 pages.

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