AVEC THE JINX, BE TV DIFFUSE L’UNE DES PLUS FASCINANTES ET DES PLUS DÉRANGEANTES SÉRIESDOCUMENTAIRES JAMAIS PRODUITES. L’HISTOIRE D’UN RICHE HÉRITIER QUI A LE MEURTRE UN PEU FACILE.

Au commencement, il y a un cadavre. Un tronc, pour être précis, découvert fin septembre 2001 dans les eaux texanes de Galveston. Des membres sectionnés, dans des sacs poubelles, s’échouent sur les flancs de la baie. Mais pas de tête. L’enquête s’engage, la victime, Morris Black, est vite identifiée, et un suspect tout aussi vite appréhendé. L’homme, 58 ans, brindille grisonnante aux allures d’assureur paisible, est une anomalie, clairement pas le genre de mec à découper son prochain à coup de scie. La caution est fixée à 250 000 dollars. « Vous avez une telle somme? », s’enquiert pour la forme un enquêteur. « Pas sur moi », répond, candide, Robert Durst. Soit l’un des héritiers d’une des plus grandes fortunes de l’immobilier new-yorkais. Robert Durst? LE Robert Durst? Celui qu’on accuse déjà d’avoir fait disparaître sa première épouse, et d’avoir assassiné une autre femme, 20 ans plus tard? Lui-même. Libéré sous caution, le suspect part en cavale. Puis vole inexplicablement un sandwich alors qu’il a des milliers de dollars sur lui. Retour au mitard.

L’épisode initial de cette incroyable série documentaire ouvre un premier tiroir. Qui en dévoilera bien d’autres. Parce que The Jinx, l’une des expériences télévisuelles les plus marquantes qu’il nous ait été donné de voir, ne fait que démarrer. La genèse du projet? Un film, puis un coup de téléphone. En 2010, le réalisateur Andrew Jarecki, spécialiste des documentaires, sort sa première fiction, All Good Things (Love and Secrets ici). Ryan Gosling et Kirsten Dunst y recréent le couple Robert et Kathleen Durst, union chahutée qui s’était soldée, en 1982, par la disparition mystérieuse et jamais résolue de la jeune femme. Assassinat? Un an après la sortie du film, gros flop artistique et commercial, Bob Durst appelle Jarecki. Pour lui proposer, un brin provocateur, sa version des faits. Pratiquement obsédé par l’affaire depuis une décennie, Jarecki n’en croit pas ses oreilles. La machine s’enclenche, lentement. Vieil homme fluet, énigmatique, accablé de tics, Robert Durst s’installe dans le fauteuil, face caméra. Et parle. De sa jeunesse, de sa maman qui s’est quasiment suicidée devant lui, de l’empire familial. Et réfute toutes les accusations qui pèsent contre lui. C’est le fil rouge d’une enquête qui permet à Jarecki de dérouler de façon assez virtuose une invraisemblable pelote de laine. En déstructurant le temps, et en s’appuyant sur des reconstitutions, des documents rares, des témoignages de flics ou de proches des victimes, en diffusant des photos brutales et des extraits d’interrogatoires hallucinants: on y découvre notamment comment Douglas Durst, le petit frère devenu tycoon, va admettre, laconique, intérieur et sibyllin, qu’il a engagé un garde du corps pour se protéger de Bob. « Vous savez pourquoi votre frère Douglas a engagé un garde du corps? », lui demandera-t-on, alors qu’il attend son procès pour le meurtre et le démembrement de Morris Black. « Parce que c’est une mauviette », lâche Bob Durst, le grand frère déchu, le maudit, the « jinx ».

True Detective

Si vous ne voulez pas qu’on vous gâche le plaisir d’une issue à la Keyser Söze dans Usual Suspects, reprenez cette lecture plus tard. Car Jarecki va remonter le courant, progressivement, comme un véritable détective. Pour arriver à la mort de Susan Berman. Berman, meilleure amie de Bob Durst depuis la fin des années 70, qui se prend une balle dans la tête fin décembre 2000. A peine quelques semaines après la réouverture du dossier Kathleen Durst par une ambitieuse procureure… Berman partageait-elle avec Bob des secrets devenus trop encombrants? Le lendemain, la police reçoit une note anonyme étrange, lui indiquant qu’un cadavre git dans une maison de « Beverley » Hills, le Beverly étant mal orthographié. Le détail qui tue. Comme dans un thriller hollywoodien. Pour échapper au tourbillon médiatique et aux nouvelles suspicions qui s’abattent sur lui, Bob Durst part s’enterrer à Galveston, Texas, où il loue un appartement… déguisé en femme. C’est là, en 2001, qu’il rencontre l’acariâtre Morris Black, dont les membres finiront dispersés dans des sacs poubelles. Chapeauté par le cynisme des meilleurs avocats texans, Bob Durst sort miraculeusement libre de son procès. Légitime défense! Et le démembrement? Là n’est pas la question…

Pendant que, dix ans plus tard, Durst déroule nerveusement sa vérité face caméra, tel un Rust Cohle dans True Detective, Jarecki recolle les morceaux. Et finit par tomber sur un élément aussi inédit qu’accablant, soit une vieille lettre adressée par Bob à Susan Berman qui, jusqu’à la manière d’orthographier « Beverley », semble en tout point correspondre à l’écriture retrouvée sur la fameuse note envoyée à la police le lendemain de l’assassinat. Et c’est là que The Jinx, qui scotche déjà par ses ressorts dramatiques, ses nombreux twists et sa dégaine de thriller, bascule dans quelque chose de complètement inédit. Louvoyant dangereusement entre l’intérêt de la justice américaine et son envie de graver pour l’éternité le moment où Durst sera abruptement confronté à cet élément de preuve, Jarecki tergiverse, puis choisit le sensationnalisme, en délaissant son rôle pour s’attribuer celui de flic, ou de procureur. Inquiétant, dérangeant. Durant la seconde interview qu’il finit pas mener avec le vieil héritier, le réalisateur lui présente les deux lettres. Durst, ébranlé, ne peut réprimer un reflux gastrique. Improvise une réponse hasardeuse. Puis s’en va aux toilettes, où il oublie qu’un micro l’enregistre. « Je suis foutu… Bien sûr que je les ai tous tués », se dit-il à lui-même. Glaçant. La veille de la diffusion de ce dernier épisode sur HBO, le 14 mars 2015, Robert Durst est arrêté. Aujourd’hui, il plaide non coupable.

THE JINX. SUR BE 1 LE MARDI 28/07 À 21 H.

TEXTE Guy Verstraeten

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