Représenté comme jamais dans les différentes sections du Festival, le cinéma belge a joint la qualité à la quantité. Retour sur cette exceptionnelle saison cannoise en compagnie de Philippe Reynaert, directeur de Wallimage.

Cinq films sélectionnés dans les différentes sections du Festival, sans même parler de diverses coproductions: jamais le cinéma belge n’avait été à pareille fête à Cannes.  » Dans le temps, avec un ou deux films à Cannes, on criait au miracle« , relève Philipppe Reynaert, directeur de Wallimage, acteur et observateur privilégié de la vie de notre cinéma.  » Ici, on n’est plus dans le miracle, et c’est fort bien, parce que les miracles, on ne sait pas très bien pourquoi ils arrivent, ni pour combien de temps.  » On ne saurait mieux dire. Et si, pour le cinéma belge, francophone en particulier, les miracles ont eu tendance à se répéter, depuis une dizaine d’années, avec des présences remarquées (et primées) dans les plus grands festivals internationaux, l’image de l’arbre cachant la forêt restait néanmoins tenace.

Rien de comparable, en effet, avec l’ampleur prise par le mouvement cette année. « On est plus dans le structurel, se réjouit notre interlocuteur. C’est le résultat de six ou sept ans de renforcement du dispositif de la Communauté française par le Fonds Wallimage, et surtout le tax-shelter. Nous disposons désormais d’un triple guichet, culturel, économique et fiscal, au fonctionnement éprouvé.  » Entendez que les instruments existent désormais pour permettre aux maisons de production d’atteindre une masse critique indispensable pour travailler dans de bonnes conditions – démonstration avec Versus Production, présente à Cannes à travers des auteurs comme Bouli Lanners et Joaquim Lafosse.

ENGOUEMENT GéNéRAL

On touche là à un autre aspect – fondamental – de la question: exceptionnelle par la quantité, 2008 s’est aussi révélée l’être par la qualité des £uvres proposées. Aanrijding in Moscou de Christophe Van Rompaey, Rumba de Dominique Abel et Fiona Gordon, Eldorado de Bouli Lanners (voir également en page 16-17) et Elève libre de Joaquim Lafosse – sans oublier, last but not least, Le silence de Lorna des frères Dardenne -, ont tous enthousiasmé le public, comme la presse internationale, largement positive et même parfois dithyrambique. Salués de Variety à Libération, Le Silence de Lorna (Prix du scénario), Aanrijding in Moscou (deux prix à la Semaine de la critique) et Eldorado (trois à la Quinzaine des réalisateurs) s’en repartent, par ailleurs, bardés de distinctions, tandis que Elève libre – sans aucun doute l’un des films les plus forts de la quinzaine cannoise – n’aurait pas déparé la compétition. On a connu bilan plus morose, assurément. Si bien que l’on peut aujourd’hui parler d' »essai transformé », suivant l’expression consacrée, au-delà même de ce qu’il apparaissait raisonnable d’espérer.

L’engouement cannois ne devrait d’ailleurs pas rester sans lendemain, ayant ouvert aux productions belges de nombreuses perspectives. A titre d’exemple, Aanrijding in Moscou a été vendu dans une dizaine de territoires, dont la France et l’Allemagne, Rumba ayant pour sa part déjà été acheté par une vingtaine de marchés, parmi lesquels la Grande-Bretagne, la France, les Etats-Unis mais encore… le Japon. La pérennité est-elle pour autant assurée?  » Les instruments sont en place, souligne Philippe Reynaert . Ce succès tient avant tout à la conjonction de talents humains et d’un cadre de soutien performant. Le dispositif créé a déplacé le potentiomètre entre le cinéma d’expression et le cinéma d’adhésion. Pour le cinéma européen et belge, déplacer le curseur n’était pas inintéressant. Il faut prendre en compte le désir du spectateur, sans qu’il s’agisse pour autant de calibrer. Le meilleur exemple, ici, est Eldorado , qui exprime tout à fait son univers, celui d’un film d’auteur, mais où il y a également un vrai travail pour embarquer le spectateur. C’est un film accueillant, et cela a du sens. Sans crier victoire, ni relâcher l’effort, le cadre de financement en Belgique me paraît excellent, on peut parler d’une forme d’aboutissement à ce niveau. Par contre, la distribution est en crise, et l’exploitation aussi: on manque de vecteurs pour diffuser ces films, c’est trop bête…  » Une pièce à verser à un dossier complexe: plébiscité ailleurs, le cinéma belge, francophone essentiellement, ne rencontre en effet toujours pas le succès mérité dans son pays de production. Absurde n’est-il pas?

RENCONTRE JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS, à CANNES

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