Noires et fières

Plus incisive que jamais, Rapsody raconte la diversité de l’expérience afro-féminine en dévoilant ses héroïnes personnelles. Brillant.

C’est un retour qui n’est pas passé inaperçu. Le 26 août dernier, quelques jours après avoir sorti l’EP Iconology, mettant fin à quatorze ans de silence discographique, Missy Elliott triomphait sur la scène des MTV Awards, récompensée par un « Michael Jackson Video Vanguard Award », sorte de « César d’honneur » de la fameuse cérémonie.

C’était un hommage bienvenu à celle qui a bousculé le rap. A fortiori au moment où le genre, souvent taxé de misogynie, fait davantage de place aux femmes. On ne parle plus d’exception: du phénomène Cardi B à Megan Thee Stallion, en passant évidemment par Nicki Minaj, elles sont désormais en première ligne à animer l’échiquier hip-hop. Mieux: avec le nombre, les « profils » se sont diversifiés. Plus besoin de jouer la carte de la sexualisation outrancière pour reprendre le contrôle de la situation et remettre ces messieurs à leur place. Prenez Marlanna Evans, mieux connue sous le nom de Rapsody: depuis le début de sa carrière, celle qui affirme notamment  » avoir autant confiance en elle qu’une star du porno » ( Black & Ugly), n’a cessé de déjouer les standards auxquels devraient se plier les filles dans le hip-hop. Son dernier album en est une nouvelle preuve.

Dans une récente interview pour Rap Genius, Rapsody expliquait notamment pourquoi elle ne veut pas être considérée comme une « fille qui rappe », mais bien comme une rappeuse à part entière. En la matière, l’intéresée n’a en effet plus rien à prouver. En 2017, Rapsody se retrouvait d’ailleurs nominée aux Grammys avec son album Laila’s Wisdom –la récompense revenant finalement à Kendrick Lamar, qui l’avait invitée sur son To Pimp a Butterfly .

Avec Eve, la rappeuse de 36 ans, originaire de Caroline du Nord, affine encore un peu plus sa plume, sortant à nouveau l’un des albums hip-hop de l’année. Produit en grande partie par 9th Wonder, accueillant un panel d’invités prestigieux (un disque sur lequel apparaît, entre autres, D’Angelo, ne peut être mauvais), il tient du numéro de haute voltige, à la fois dense et moderne. Lyriciste cinq étoiles, Rapsody profite de chaque occasion pour mettre les choses au point. Elle aurait ainsi le tort de s’habiller « comme un garçon » ( » Dressed too tomboy, rap too lyrical« , dans Cleo)? So what? Feue Aaliyah ne portait-elle pas le baggy?, rappelle-t-elle.

Noires et fières

Il n’est pas question de rejeter la féminité, mais bien ses codes imposés -qui réduisent l’expérience féminine à quelques traits, en particulier quand il s’agit des femmes noires. Rapsody consacre ainsi chacun de ses morceaux à une figure emblématique -de Nina (Simone) à Oprah (Winfrey), en passant par Michelle (Obama), mais aussi Serena (Williams), l’activiste Afeni (Shakur, mère de Tupac) ou la reine pharaon Hatshepsut -morceau sur lequel Rapsody a invité son héroïne, la pionnière Queen Latifah. La démarche rappelle évidemment le Legacy! Legacy! de Jamila Woods, autre disque essentiel de 2019 sur lequel la chanteuse-poète rendait également hommage à son panthéon personnel. Comme si dans un monde qui tourne fou, il y avait un besoin urgent de se redonner des repères…

Rapsody

« Eve »

Distribué par Jamla Records.

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