Noces de papier

La Chapelle de Boondael accueille Anatomia, une délicate exposition au croisement des pratiques de Tamar Kasparian et France Dubois.

Au commencement était un lieu. Une chapelle datant du XIXe siècle. Rien de clinquant, rien de baroque, un charme discret que ponctuent six vitraux basiques déversant une lumière dorée en permanente variation. Le réceptacle de cet or impalpable? Un espace pas si désacralisé que cela puisque s’y expose désormais un autre genre d’inspiration, un autre souffle, celui des hommes. Ou des femmes. Car Anatomia raconte en l’occurrence une rencontre féminine autour du corps et de la nature. À l’unisson, France Dubois (43 ans) et Tamar Kasparian (44 ans) évoquent une  » fragilité« , un  » besoin de dialoguer » comme motif du rapprochement qu’elles ont opéré ou que peut-être la vie a opéré pour elles. Habituées à mener leur combat en autodidactes et en solitaires sur le champ d’honneur de la création plastique, toutes deux ont éprouvé, il y a trois ans de cela, le besoin de faire converger leur regard. Deux résidences, en 2017 et 2018, au coeur de l’ancien édifice religieux ont servi d’accélérateur de particules. Il était donc logique que cette  » nouvelle matière« , comme l’écrit avec justesse Marie Lemeland, atterrisse ici. Quelle est la nature de ce corpus inédit? Pour qualifier cette exploration menée en  » territoires intimes« , Tamar Kasparian s’essaie à l’ontologie négative.  » Ce n’est ni toi, ni moi« , explique-t-elle en s’adressant à France Dubois. De fait, la substance qui émerge est ici un horizon commun, un pas de deux, un  » nous« , l’une de ces équations inexplicables qui font qu’un plus un égale trois. Plus concrètement, Anatomia parle d’une rencontre entre les photographies de France Dubois et le dessin de Tamar Kasparian, la seconde intervenant sur le travail de la première.

Strates et empreintes

Au centre des images de la photographe est le corps, celui-ci émerge de l’obscurité. Comme une vague contre un rocher, la chair pâle vient se briser contre le noir. Ce contraste, le choix d’un papier de coton l’atténue, lui enlève sa crudité. Du coup, les contours ont la peinture pour horizon, le caractère mécanique de l’image reproductible fait un pas bienvenu du côté du vivant. En laissant intervenir sa comparse sur ses prises de vue, France Dubois ouvre la porte à une féconde dépossession. L’idéal pictural se voit dépassé vers une  » expression de la sensibilité et des émotions« , le duo reprend la formule de Maurice Ravel, à mi-chemin entre le toucher et la vue. Kasparian intervient à a faveur de strates -le washi, un papier traditionnel japonais ultrafin habituellement utilisé pour la restauration d’oeuvres- combinées à des empreintes végétales et minérales qui sont comme un souvenir, tantôt cubiste, tantôt organique, apposé sur la peau. Le résultat se découvre feutré, cette impression d’une réparation offerte au corps morcelé comme le cocon entoure la chrysalide. D’une infinie délicatesse, l’accrochage proposé ose, lui qui multiplie les formats, les verticalités, les tonalités, les angles et les confrontations (celle de l’artificielle lumière d’un projecteur ou de l’érection brutale d’un socle, par exemple). Le tout s’accompagne d’une bande-son atmosphérique, l’album Hwal d’un autre duo nommé Keda, oscillant entre musique traditionnelle coréenne et sonorités électro.

Anatomia

Tamar Kasparian & France Dubois, Chapelle de Boondael, 10, square du Vieux Tilleul, à 1050 Ixelles. Jusqu’au 20/10.

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