Élu à l’unanimité personnalité culturelle de l’année, le réalisateur des Barons achève 2009 sur les ailes d’un succès mérité. L’occasion d’un premier bilan, et de formuler aussi quelques désirs d’avenir.

A l’heure où vous lisez ces lignes, Les Barons aura largement dépassé les 60 000 spectateurs en Belgique, dont plus de la moitié à Bruxelles. Un succès en devenir, pour une comédie (im)pertinente qui sortira en France au début janvier sur plus de 100 copies et pourrait bien aussi séduire le public à Paris et ailleurs. L’humour du réalisateur molenbeekois fait mouche. Sa réflexion aussi.

Votre film fait le plein. Comment vivez-vous ce qui devient un « phénomène » Les Barons?

C’est hallucinant! Et ce qui est à la fois drôle et bizarre, j’ai l’impression d’être plus connu que les acteurs (rire). Il y a deux catégories de réactions vis-à-vis de moi: ceux qui me prennent pour un millionnaire parce qu’ils pensent qu’un film d’une heure et demie se tourne en une heure et demie, et puis surtout ceux qui se sentent fiers à travers moi. Ce sont des jeunes bien sûr mais aussi des pères et des mères de famille, des associations de femmes qui viennent à 50 voir le film. En salle, c’est la folie. Des gens de Molenbeek arrivent en disant  » je viens voir mon film! » et s’asseyent où ils veulent, même à Kinepolis où les sièges sont numérotés, parce qu’ils se sentent chez eux… C’est super, Molenbeek devient « culte », c’est tout ce Bruxelles populaire qui a du succès! J’ai parlé avec une dame assez bourgeoise qui m’a dit:  » Vous savez, maintenant, quand je vois des barons dans une BMW, je ne les vois plus de la même manière. » Je lui ai demandé si c’était au point d’y monter, elle m’a répondu que non, tout de même pas (rire)…

Jusqu’où va l’identification, chez les jeunes spécialement?

Souvent loin. Quand ils me disent, enthousiastes,  » On est tous des barons!« , je leur dis qu’ils devraient revoir le film. Car ils l’ont pris au premier degré, sans percevoir l’élément d’autodérision. Je dois bien faire le constat que beaucoup d’entre eux s’identifient au personnage de Mounir plutôt qu’à celui d’Hassan (1)… Alors que le film invite tout de même à bouger, à aller voir ailleurs, hors des limites du quartier. Son message, c’est « Tente, tente de réaliser ton rêve. Si tu te ramasses t’auras mal, mais pas plus que si tu ne tentes rien! »

On vous réclame déjà un Barons 2?

Oh oui. On me crie  » On veut la suite, on veut la suite! » Et on me demande de pouvoir jouer dedans… Mais il n’y aura jamais de Barons 2!

La suite, c’est un peu à eux de l’écrire, non?

Oui, exactement! Le film leur dit de l’interpréter à leur manière et d’y aller, d’avancer. Par delà l’incroyable popularité de l’expression. J’entends des gens demander à d’autres  » T’as un boulot ou t’es un baron? » (rire). Tout ça me dépasse, je dois l’avouer, moi qui ai été un baron avant de faire un film… Heureusement, il y a plein de spectateurs, même parmi les jeunes, qui pigent le message, qui voient qu' » à force de tourner en rond, on creuse sa tombe« , pour reprendre la formule d’un spectateur avec qui j’ai parlé.

Pour sortir du quartier, pour réaliser son rêve, il faut encore que l’extérieur soit lui aussi plus ouvert, non?

Absolument. Derrière le guichet de la banque du quartier, il y a des gens du quartier. Des agents de sécurité issus du quartier veillent sur les centres commerciaux du quartier, et des chauffeurs de bus du quartier conduisent les bus qui desservent le quartier. C’est de l’emploi, et c’est bien, mais comment aller voir ailleurs si on engage ainsi?! Et il y a encore le logement. Pas facile de trouver à louer quand on vient d’où je viens. On me dit  » Maintenant, avec le succès des Barons, ça te serait plus facile. » Je ne veux pas de ça. Imaginez la tête des gens derrière moi, et qu’on refuserait…

Quel est votre sentiment face au racisme encore présent?

Je me sens belge. Et j’aimerais qu’on parle moins de « jeunes d’origine maghrébine, d’allochtones », des mots difficiles à porter. Le seul moment où je n’ai pas ressenti la différence, c’était pendant la crise financière. D’un coup il n’y avait plus de Flamands, plus de Wallons, plus d’Arabes, plus de chrétiens, plus de juifs. Il n’y avait plus que des gens qui étaient tous dans la merde. Faut-il que nous soyons dans la merde pour nous sentir tous pareils?

A l’heure où s’achève 2009, avez-vous des souhaits pour l’année qui vient?

J’aimerais que les politiques aillent plus vers les jeunes. Car si le vote n’était pas obligatoire en Belgique, très peu de personnes iraient voter… J’aimerais qu’on ait un pays un peu plus stable… Et que chez nos voisins français (j’ai beaucoup de famille dans le nord), on ait un président de plus grande taille… Du genre de celui qu’ont élu les Américains.

(1) Un constat inquiétant, car Mounir refuse l’évolution incarnée par Hassan et le passe à tabac dans une séquence d’une violence extrême…

Rencontre Louis Danvers

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