Après l’avoir incarné pendant un an sur scène, Frank Langella campe un magistral Nixon à l’écran, allant à l’essence même du personnage.

Voir Frank Langella interpréter Nixon a quelque chose de stupéfiant: si l’acteur ne présente pas de ressemblance physique avec l’ancien président américain, il est Nixon, transcendant leur différence pour toucher à l’essence même de l’être. Ce rôle, Langella l’avait créé sur scène, à Londres, en 2006, pour Frost/ Nixon, la pièce de Peter Morgan, avant de prolonger à Broadway, avec un succès équivalent et un Tony Award à la clé – son troisième. Sa carrière, le comédien, né il y a tout juste 70 ans à Bayonne, New Jersey, l’a en effet essentiellement menée sur les planches. Même si les cinéphiles se souviennent d’un mémorable Dracula pour John Badham au crépuscule des années 70. Ou, plus récemment, de sa participation à l’impeccable Good Night, and Good Luck de George Clooney.

Rien de comparable, toutefois, avec la transposition à l’écran de son interprétation de Nixon, qui a fait de lui l’objet d’un buzz considérable. L’acteur, que l’on rencontre dans un hôtel new-yorkais, n’est toutefois pas du genre à s’émouvoir inutilement. Un exemple? On évoqua un temps Warren Beatty ou Jack Nicholson pour reprendre son Nixon à l’écran.  » Tant mieux pour eux, commente-t-il de sa voix basse et posée . J’accepte cela comme faisant partie de ce métier. » Mais, comme l’indique le réalisateur Ron Howard,  » après ce qu’il avait montré sur scène, quiconque lui aurait succédé n’aurait fait que marcher dans son ombre« .

Nixon, Frank Langella l’a voulu délibérément humain.  » On ne peut jouer un titre, ni une position. Il faut penser aux gestes que le personnage pose tous les matins comme nous, à l’humain. Ce n’est qu’ensuite que vient se greffer la fonction. » Celle d’un président qu’il a abordé du côté de l’âme:  » Il ne peut en aller autrement. J’ai passé des heures à étudier des enregistrements, à regarder ses yeux intensément, à l’affût d’un battement de paupières, d’un moment de doute… Un petit enregistrement, peu montré, m’a beaucoup aidé: on y voit Nixon sortir d’un meeting où il a été malmené par la presse, et s’en prendre à Ron Ziegler, son porte-parole. Il n’y a que l’image, Ziegler essaye de s’expliquer, et Nixon le prend, le fait pivoter et le renvoie devant la presse… Ce petit moment de frustration et de fureur m’a beaucoup facilité la compréhension de ce que cet homme avait dû ressentir chaque jour. »

Le portrait ainsi dressé donne à voir un Nixon tragique et pathétique, objectivement plus sympathique aussi que le souvenir que l’on pouvait en avoir.  » Ce n’était pas à dessein, j’ai voulu restituer la vérité de cet homme. A l’époque de sa démission dans l’affaire du Watergate, je l’ai jugé, comme beaucoup, à cause de son comportement et de son incapacité à communiquer la moindre once de cette humanité que j’ai fini par lui trouver. » De quoi sensiblement faire évoluer son jugement, sans l’exonérer pour autant.  » Il ne fait aucun doute qu’il a tenté d’étouffer une affaire criminelle, et de ce simple fait, il a eu ce qu’il méritait. Mais s’il avait reconnu les faits devant la justice et n’avait essayé de se soustraire aux sanctions, cela n’aurait été qu’une tache dans sa présidence. » On sait ce qu’il en advint.  » L’une des choses que j’ai apprises en vivant si longtemps avec Nixon, c’est qu’il aurait pu éviter tout cela facilement. Et j’ai pensé à tout ce que j’aurais pu moi-même éviter dans ma vie. Non sans me rappeler que le passé est le passé, et que l’on n’arrive où l’on en est que par la voie que l’on a empruntée… »

Entretien Jean-François Pluijgers, à New York.

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