Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Jazz negus – Groove frémissant, cuivres bouillonnants… Une compilation revient sur les années d’or du maître de l’éthio jazz. Walk like an Ethiopian…

« New York – Addis – London/The Story of Ethio Jazz 1965-1975 »

Distribué par Strut/Pias.

L’Ethiopie. Côté face, le berceau de l’Humanité, civilisation riche d’une histoire millénaire, le seul pays africain aussi à avoir échappé au colonialisme. Côté pile, les grandes famines des années 80, Mengistu, le conflit avec l’Erythrée, les troubles internes. Et la musique là-dedans? Elle a souvent eu du mal à passer les frontières. La faute au chaos autant qu’à la fierté nationale, celle d’un pays replié sur ses haut-plateaux et ses cultures artistocratiques ancestrales. Depuis quelques années pourtant, tout un pan de la musique éthiopienne a trouvé un nouvel écho. Les voies de la hype sont impénétrables: il aura notamment fallu une B.O. – celle du Broken Flowers (2005) de Jarmusch – et une série de compilations – l’impeccable collection Ethiopiques -, pour faire enfin sortir de l’ombre le groove d’Abyssinie. Au centre de ce regain d’intérêt, Mulatu Astatke. Né en 43 du côté de Jimma (sud-ouest), il est le créateur de l’éthio jazz.

Début de l’année, le label Strut organisait ainsi une rencontre entre le vétéran et le collectif hip hop Heliocentrics. Aujourd’hui, le même label sort une rétrospective d’une vingtaine de titres, enregistrés entre 65 et 75. Un bon tiers d’entre eux étaient déjà connus, publiés sur de précédentes compilations Ethiopiques. Le reste est plus inédit, certains morceaux n’étant jamais sortis ailleurs qu’au pays! Et de pouvoir ainsi constater à nouveau l’imparable abattage rythmique du maître. La musique d’Astatke tient en effet du roulement moite, un tapis de percus laineuses sur lequel viendraient s’allonger des cuivres aussi langoureux que séditieux.

Swinging Addis

Dans sa marmite, Astatke a en fait mélangé la tradition musicale éthiopienne et le jazz, la gamme pentatonique d’Afrique de l’Est et les 12 notes de l’échelle occidentale. Logique, ce mix est aussi le résultat de son histoire personnelle. A 16 ans, le jeune Mulatu est en effet envoyé en Angleterre pour étudier les maths et la physique. Sur place, il se découvre cependant une plus grande passion pour la musique. Au point de s’envoler plus tard vers l’Amérique, en intégrant d’abord le Berklee College, en fréquentant ensuite les milieux jazz de New York. Sur place, pour l’accompagner, Mulatu a du mal à dénicher des compatriotes. Il doit se rabattre sur des musiciens cubains. Pas étonnant donc de retrouver sur les premiers enregistrements un parfum latin jazz parfois fort prononcé ( I Faram Gami I Faram). Ces sons, il les emporte avec lui quand il rentre au pays fin des années 60. Cela tombe bien: à l’époque, comme dans de nombreux endroits, la jeunesse remet les vieux schémas en question. La capitale s’emballe, on parle de la Swinging Addis. Jusqu’à la chute de l’empereur Selassie en 74, Mulatu Astatke va ainsi pondre une série de groove languides et de tueries funk ( Ebo Lala, Emnete…). Plus tard, au moment où la rue se manifeste, il sort l’album Yekatit, où les saxos se font en effet plus revendicateurs (presque afro-beat sur Nètsanèt). Mais la surprise vient encore en toute fin de compilation. Parfaite épilogue d’une anthologie exemplaire, le balancier blues de Tezeta calme en effet le tempo pour une rêverie de 6 minutes. Il fallait bien ça pour atterrir.

Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content