TRENTE-SIX ANS APRÈS UN 1ER CONCERT POTACHE AU LYCÉE DE BERKENDAEL, LA PETITE ENTREPRISE STTELLLA NE CONNAÎT PAS LA CRISE. UN BESTT OFFF COMPILE LA POP À CALEMBOURS DE JEAN-LUC FONCK, MAÎTRE-ÉTALON DE L’ABSURDE BELGE ET MANGEUR DE MOTS POLYVALENT.

« Ah ben non, tu sais, je ne fais plus d’interviews chez moi, voyons-nous au bistrot. » Ouaip, the times they are a-changin comme dit le poète, pas Jean-Luc Fonck, l’autre du Minnesota. On a donc fréquenté l’oiseau au temps des cavernes -années 80- quand il travaille à plein temps au Ministère de la Justice:  » Les candidats réfugiés s’amenaient et on consignait leur histoire, on les prenait en photo, on faisait en sorte qu’ils aient des documents pour la commune, mais à aucun moment, on ne décidait de leur sort. Et, non, je n’en ai fait aucune chanson. » A cette période du précambrien, Jean-Luc partage scènes et vie privée avec Mimi. Dans leur micro-maison d’Etterbeek, le couloir regorge de crucifix mais leur petit Jésus intime accouche plutôt en concert: d’un improbable mix de claviers enfantins et de jeux de mots a) navrants b) drôles c) les 2 mélangés. Equipé d’un léger zozotement vocal, le Fonck n’a pas encore le look parodique des années postérieures ( Il faut tourner l’Apache) mais n’hésite pas à recourir au peignoir rouge sur slip rose satiné pour présenter sa prose. On a des photos.

Arlon-Berkendael

 » Mes parents étaient boulangers à Arlon, où je suis né, mais mon acte de naissance, que j’ai retrouvé il n’y a pas si longtemps, est sans date, indiquant juste au 11 mars 1957 que j’étais né l’avant-veille. Cela commençait bien. » Voilà donc le gamin Fonck nourri aux odeurs de miche chaude et aux levers précoces, habitude gardée jusqu’à aujourd’hui.  » Je suis allé à l’école chez les Frères Maristes et au patro catholique, mais la religion était plus une tradition qu’une idéologie. » Chez les Fonck, on ne se prend pas la tête existentielle, mais on croit au travail, vertu que le petit Jean-Luc cultivera jusqu’au succès. Sous dopamine de 2 s£urs aînées, il mange du yéyé, du sixties, du Salut les copains. A ce premier traumatisme ludique succède un déménagement bruxellois.  » J’avais 12 ans, on était en 1969: mes parents s’installent dans une boulangerie, rue du Croissant (…), dans le bas de Forest, c’était les vacances de Pâques, je ne connaissais personne, un choc. » Un passage à l’Athénée de Saint-Gilles -où il rencontre Mimi- et on lui  » conseille de changer d’école ». Il se retrouve donc à Berkendael, lycée bobo-glandu ucclois, où il croise les futurs Odieu ou Michel Culot de l’asbl La rétine de plateau.  » C’était du rénové mixte post-68, c’était le plein emploi, on manifestait beaucoup, c’était une façon de ne pas aller au cours. Tout semblait possible, c’est peut-être une clé à ce que je fais encore aujourd’hui: maintenir ce possible! » Berkendael sera donc la scène du premier crime de Stella -orthographe d’époque-, groupe rassemblé à la 25e heure pour la fête de l’école où Fonck gratouille la guitare:  » Je ne savais absolument pas jouer, on faisait essentiellement les intros des chansons (rires) , des reprises. On pensait devenir les Stones alors qu’on était en route pour Roland Magdane. Le public riait. »

Couille-cassables

 » Parce que personne ne voulait chanter mes textes, je m’y suis mis, en pensant qu’il était tout à fait légitime que je chante comme une patate. Pendant longtemps, Sttellla a été un hobby sans arrière-pensée. » Fan d’Edgar Allan Poe, Jean-Luc est aussi un kid typique des 70’s: il fréquente Forest National (Black Sabbath, Led Zep, Slade) et tombe raide devant les New York Dolls au 140.  » Mais la langue française m’intéressait. Je me suis lancé dans des études d’instit’, toujours à Berkendael: j’adorais donner cours, mais j’ai arrêté au mois de mai la seconde année. On me cassait les couilles avec des choses qui n’étaient pas couille-cassables (sic) . Je me suis engueulé avec un inspecteur à propos d’un mot invariable. Et comme le roi lors de la loi sur l’avortement, je suis parti. » Le premier album de Sttellla, paru en 1978, Pouet-Pouette, contient le fameux (…) Rock namurois, un de leurs premiers « classiques ». La pochette, qui ne remportera aucun Grammy Award du layout, est dans le ton punk/DIY du moment:  » On a vendu les 500 exemplaires pressés: l’album autoproduit n’était plastifié que d’un côté parce que c’était moins cher. On n’avait même pas pensé à aller voir une firme de disques, on avait juste cherché dans le bottin où on avait trouvé le Studio Pingouin (…) à Woluwé. Il n’y avait rien de vénal là-dedans. » Début des années 80, Firmin Michiels -qui bossera comme DA avec Arno, Renaud et Axelle Red- propose de réenregistrer un titre de Pouet-Pouette, Quand je cherche, à l’ICP.  » Un demi-succès radio », selon Fonck, qui jusqu’à la fin des années 80, distribue lui-même les disques, partout à Bruxelles et en Wallonie:  » Un bouche-à-oreille s’est créé et on a commencé à beaucoup jouer, je prenais des pauses-carrière, notamment pour un voyage à Montréal avec les Gangsters d’Amour et Noir Désir. Mimi, qui était également fonctionnaire, aux Allocations Familiales, faisait de même. J’ai géré ça jusqu’en 2002 mais de fait, après 1994, je ne suis plus jamais retourné au Ministère. »

Torremolinos

En 1992, Sttellla finit par pondre un OVNI populaire, Torremolinos: « Il y a une ville à la Costa Del Sol/Où il y a plus de Belges que d’Espagnols/Où il y a plus de Léonidas/Et de Bata que de gambas. » Le succès radio confirme l’identité belge majeure, celle qui permet encore aujourd’hui à Jean-Luc d’être la version punky du Grand Jojo. Un statut différent de l’étranger: en France, le groupe est signé chez le très rock’n’roll Boucherie Productions, au Canada et en Suisse, il est vu comme une confiserie marrante, le truc d’après-dîner pour soirées pétroleuses. « En 1994, quand Mimi et moi nous sommes séparés, je me suis demandé comment je pourrais continuer Sttellla, je me retrouvais comme Bowie sans Mick Ronson. » David Fonck embarque alors une sono dans la bagnole et part pour une mini-tournée helvète. Thérapie vers la gloire? Il refera un groupe qui alternera avec des performances solos.  » Je ne suis vraiment devenu un personnage public qu’au début des années 2000, j’ai eu une sorte de crédit qui m’a donné une grande liberté dans tous les domaines. Je peux faire tout et n’importe quoi, comme Fée un v£u (1) , la comédie musicale pour enfants que je monte avec mes propres sous aujourd’hui, où il n’y a pas de jeux de mots (sic) . » Du coup, le Fonck n’est plus un animal rare: hier chroniqueur au Jeu des dictionnaires et à La semaine infernale, aujourd’hui racontant ses rêves sur Vivacité ou blaguant sur Bel RTL, compositeur pour Bla Bla avec lequel il décrochera un disque d’or -2 autres iront à Sttellla-, « sketcheur » dans Les allumés.be. Toujours avec la même bande, les frères Martin, ses potes du label bruxellois T4A:  » Je crois à la petite entreprise », confirme-t-il devant un plat de rognons sauce moutarde qui suivent un Ricard et accompagnent l’eau minérale puis une paire de cafés. Sur la terrasse du resto de Linkebeek, il s’en va cloper, en homme libre, 54 piges, un ptit anneau à l’oreille gauche. Il parle des bouquins qu’il écrit, déjà 6 au compteur, et puis, à nouveau, du plaisir de la langue:  » Dans le Hara-Kiri que j’achetais, ils disaient: « On ne fait pas de jeux de mots, c’est vulgaire. » Mais je trouve qu’il y a une espèce de mystère dans les mots, quelque chose derrière eux. C’est comme quand tu regardes un tableau et que tu vois apparaître quelque chose derrière les taches, un autre sens. Zorro qui travaille en noir, rien à faire, cela m’amuse. » Nous aussi. l

(1) CD CHEZ T4A, EN REPRÉSENTATION JUSQU’AU 8 JANVIER AU THÉÂTRE DE LA TOISON D’OR À BRUXELLES, WWW.TTOTHEATRE.BE

RENCONTRE PHILIPPE CORNET

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