L’égérie du cinéma indépendant trouve dans Blindness un rôle à sa mesure, moins Loin du paradis que jamais.

Julianne Moore, c’est en quelque sorte la bonne fée des cinéphiles. Mettez son nom au générique d’un film et même la plus improbable grosse production hollywoodienne façon Jurassic Park présente soudain un intérêt. Non, du reste, qu’elle ait fait des films mastodontes sa spécialité: le genre de la maison ce serait plutôt le cinéma indépendant – celui des Robert Altman, Paul Thomas Anderson, Coen Brothers, Gus Van Sant et autre Todd Haynes, avec qui elle a aligné les films majeurs ces quinze dernières années. Ou encore celui d’un Fernando Meirelles dont elle illumine le Blindness d’une intensité tantôt désarmée, tantôt désarmante.

Surprise, cependant, l’actrice y rayonne d’une blondeur inédite:  » J’ai eu l’intuition que c’était un bon choix, s’amuse-t-elle, alors qu’on la rencontre au lendemain de la projec-tion cannoise. Etre roux vous fait sortir du lot, on appartient à une minorité. Et je voulais qu’elle puisse se fondre dans la majorité » Femme anonyme appelée à occuper le devant de la scène par la force des choses – elle est la seule à être curieusement épargnée par une épidémie de cécité -, elle ne se départira d’ailleurs pas de ce fond de normalité:  » Il était essentiel qu’elle demeure ordinaire même dans les moments où elle doit accomplir des actes héroïques . Il s’agit de quelqu’un qui est confronté à une situa-tion inédite et tente de faire avancer les choses, et non d’un super héros, soudainement doté d’un pouvoir qui le changera à jamais.  »

Corollaire logique, voilà un personnage qui, tentant de préserver sa communauté dans un environnement hostile, n’est pas à l’abri des erreurs de jugement et autres errements:  » Il était important à mes yeux qu’elle ait de multiples facettes, qu’elle soit capable d’humanité comme de brutalité – elle représente chacun d’entre nous. Devant résoudre une situation, les gens font-ils toujours les choix les plus justes? Non. Et quand bien même les font-ils, les conséquences peuvent les dépasser. Il y a, dans le film, une profonde ambiguïté morale: son comportement n’est pas systématiquement bon et il se trouve de toute façon une autre partie du monde pour considérer que ses actes sont néfastes. »

En filigrane se trouve dès lors posée la question de la responsabilité, au c£ur, parmi d’autres, du propos de Meirelles. « Blindness correspond pour moi au type de film dont nous avons besoin. Il brasse énormément de questions fondamentales, et notamment celle de la dégradation sociétale, le fait que nous pensions tout avoir sous contrôle, tout en étant à la merci d’un désastre. C’est aussi un film sur l’aveuglement, et notre refus de voir ce qui se passe autour de nous. Il offre une médita-tion sur différents sujets à même de nourrir la réflexion du public.  »

Ce, en adoptant une perspective pour le moins singulière sur la condition humaine.  » Les films ne prédisent rien, nous ne sommes pas des Cassandre. Les films ne reflètent jamais que ce qui se passe, et il y a, pour l’heure, énormément d’anxiété liée à l’insécurité politique, aux désastres naturels, aux désastres humains que nous avons provoqués. Nul ne peut plus y être indifférent. J’ai d’ailleurs particulièrement apprécié que ce projet ait un caractère international fort affirmé. C’est un film en prise sur le monde, sans qu’il ait nécessairement des réponses à formuler. »

Entretien Jean-François Pluijgers, à Cannes.

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