Chaque fois que mes yeux tombent sur le fond d’écran de ma fille, 17 ans, je ne peux m’empêcher de sourire. Pas de selfie aux yeux exorbités et aux lèvres ourlées, juste ce message en grand: « I’m not normal. » Même si c’est une ado très conventionnelle dans ses faits et gestes -étudiante à temps partiel, fashionista et usagère des réseaux sociaux à temps plein-, le fait qu’elle revendique, même pour la forme, sa différence me rassure sur sa santé mentale. Qui a envie de ressembler à François Hollande, qui avait fait de la normalité son cri de guerre pendant sa campagne présidentielle? Le mouton qui bêle à l’unisson du troupeau et abdique toute forme de personnalité ne fait pas rêver.

Sortir du lot, s’élever au-dessus de la masse, voilà ce qui aiguise les ambitions. Et pas seulement celles, en toc, des participants aux émissions de téléréalité. Un artiste, un écrivain aspire lui aussi à la lumière, même si elle est plus tamisée. En partageant le produit de son imagination, de sa révolte, de ses aspirations, il fait un geste vers la foule. Et espère en retour, même secrètement, même timidement, de l’admiration, de la reconnaissance, de quoi en fait lécher les blessures existentielles et apaiser la brûlure des doutes qui garnissent notre insignifiance. Si l’approbation des autres n’était pas un des moteurs de son action, il ferait ses petites affaires tout seul dans le fond de son garage ou de son atelier.

Il faut pourtant nuancer. L’ordinaire n’est pas forcément ce truc ringard qu’on subit plus qu’on ne le choisit. D’abord, la banalité, ça peut rapporter gros. Les Levy, Musso ou Pancol en tartinent leurs comédies romantiques pour un retour sur investissement imbattable. Depuis 2011, le deuxième a élargi son territoire de chasse en glissant vers le thriller, un genre devenu… banal depuis quelques années. Pari gagnant puisque son dernier méfait, Central Park, bat des records de ventes. Comme quoi, quand il est emballé dans un marketing bien ficelé et usiné par des experts en littérature cosmétique, le trivial fait recette.

Plus cocasse et moins migraineux: l’autre leçon de prosaïsme nous vient de la mode. Le microcosme s’agite depuis quelques semaines autour d’un nouveau concept: le « normcore ». Contraction de « normal » et « hardcore », cet oxymore désigne une célébration de la simplicité passe-partout en réaction à la surenchère visuelle des dernières vagues modeuses. Un appel au vide esthétique, au dépouillement vestimentaire. Quand tout le monde s’est approprié une panoplie hyper codée, de l’arsenal bling-bling à l’épure hipster, le seul moyen de se démarquer, c’est encore de revenir à des formes plus insignifiantes.

Si vous portez des tenues basiques, que vous privilégiez les couleurs neutres, les coupes pratiques et les marques sans capital glamour comme Quechua, le tout par conviction plus que par nécessité, vous rentrez dans la catégorie de ces nouveaux winners. Un no look qui rappelle ce trou noir dans la garde-robe artistique: le grunge. On peut encore le vérifier sur les photos récemment exhumées de Kurt Cobain: son apparence était le cadet de ses soucis -c’est vrai nombreux. Jeans informe, pull mité, l’icône rock ne soignait pas sa tenue comme ses prédécesseurs (de Elvis à Robert Smith) ou ses successeurs (de Jay-Z à Metronomy). Comme quoi, il ne faut décidément pas se fier aux apparences. Le feu de la révolte peut couver sous les oripeaux de la fadeur. Et si chaque roman de Levy était en réalité un pavé jeté dans la vitrine du conformisme? Le choc!

PAR Laurent Raphaël

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