Mister Nobody – Nobody’s Business

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« J’ai toujours pensé qu’avec ton intelligence, tu aurais pu être comptable, avocat, ingénieur… Tu aurais pu faire tout ça. À mon avis, tu gâches ton talent. Tu vas faire ce film et un autre l’année prochaine… Dans deux ou trois ans, tu seras où? Tu auras construit quoi? Je suis ton père et je te dis ce que je pense. Que ça te plaise ou non. » La tirade qui termine Nobody’s Business en dit long sur la relation qui unit le réalisateur new-yorkais Alan Berliner à Oscar, son paternel. Pas facile, bougon, contrariant, revêche, Oscar est le sujet de ce formidable portrait, récompensé il y a 20 ans aux quatre coins du monde (Berlin, San Francisco, Florence, Jérusalem…).

Pour Oscar, sa propre vie n’a aucun intérêt. La guerre? Ce n’est pas lui qui l’a gagnée. Ses grands-parents? Il ne les a pas connus. Son QI au-dessus de la moyenne? Rien d’exceptionnel. « Tu veux que j’invente. Avant qu’on aille plus loin, écoute-moi bien. Je suis un type ordinaire qui a eu une vie ordinaire. J’ai fait l’armée, je me suis marié, j’ai eu des enfants. J’ai travaillé dur. J’avais ma propre entreprise. C’est tout. Y a pas de quoi faire un film. »

On n’a pas peur de le contredire. Il est mort depuis. Nobody’s Business est un bijou. Spécialiste du film de famille (il ausculte la sienne et raconte aussi la nôtre), virtuose du montage, Alan Berliner joue avec les souvenirs et les trésors familiaux (photos, vidéos), pousse son géniteur dans ses derniers retranchements, l’engueule quand il dit « les Japs » plutôt que « les Japonais » et le raconte avec une remarquable inventivité. Un vieux combat de boxe en noir et blanc symbolise la conversation par moments difficile entre le père et le fils, qu’on entend se chamailler. À la fois historien, biographe, détective privé, psychologue, journaliste, réalisateur, monteur, producteur, Berliner aime séparer le son de l’image pour leur donner du sens. Pour raconter cet homme qui se sent plus proche de ses potes de l’armée que de ses grands-parents. « Avec eux, j’ai vécu. Sept jours sur sept. Attendant de tuer ou d’être tué. » Ce type qui s’est marié sans amour, a travaillé dans la confection de vêtements de sport féminins et a subi deux opérations du cerveau. Intelligent, touchant, pudique, Nobody’s Business réfléchit aux liens du sang et se pose le même genre de questions que chaque enfant sur ses parents. « À partir de quand on se considère de la même famille? Quand quelqu’un t’énerve mais que tu l’acceptes« , résume l’un de ses intervenants. On ne l’aurait pas mieux dit.

Documentaire d’Alan Berliner.

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