UNE NOUVELLE FOIS BRILLANT DANS MARGIN CALL, SITUANT SON ACTION À LA VEILLE DE LA RÉCENTE CRISE, KEVIN SPACEY CONNAÎT LE MONDE DE LA FINANCE… À TRAVERS SA RECHERCHE DE FONDS POUR LE THÉÂTRE QU’IL DIRIGE.

Personnage clé du thriller financier de J.C. Chandor, Margin Call, où le management d’une banque tente désespérément de sauver les meubles lors de l’éclatement de la « bulle » fatale, voici 2 ans à peine, Kevin Spacey signe une nouvelle performance de choix, très applaudie au Festival de Berlin, où nous l’avons rencontré.

Avez-vous suivi de près les événements menant à la crise financière, et la crise elle-même?

J’ai suivi tout cela avec une certaine attention. Pas parce que je me trouvais moi-même affecté par ce qui se passait, mais parce que cela pouvait nuire à un de mes jobs en tant que responsable de l’Old Vic ( Spacey est, depuis 2003, le directeur artistique de ce fameux théâtre londonien où brilla Laurence Olivier, ndlr). Je m’efforce en effet d’obtenir pour mon théâtre des fonds de la part… de ces gens dont il est question dans le film: des banquiers! J’ai donc été doublement intéressé par le projet Margin Call. D’abord pour ce qu’il révélait du versant humain des choses. Car cette crise n’a pas seulement touché, parfois cruellement, la vie des gens à l’extérieur, elle a aussi bouleversé celle de ceux qui étaient à l’intérieur. La seconde raison de mon intérêt est ma conscience que s’il n’y avait pas eu la Bank Of America, Barclays, Morgan Stanley, et beaucoup d’autres banques et banquiers, pour m’offrir des aides et me prêter de l’argent, je n’aurais pas pu réaliser le travail que je fais à l’Old Vic. Et c’est la même chose pour nombre d’institutions culturelles.

Comment abordez-vous ce milieu bancaire dans votre recherche d’argent pour votre théâtre?

C’est une recherche qui me prend 70 % de mon temps! Il me faut essayer de convaincre des gens qui ont plein d’argent de m’en donner. Parfois, je développe toute une argumentation économique. Car croyez-moi, les arguments économiques sont solides. La création artistique engendre jusqu’à 3 % de la valeur économique créée. A Londres, les arts attirent constamment les foules. Les gens se pressent pour partager des expériences culturelles, et toutes les affaires entourant les théâtres, les salles de concert, les musées, profitent de cette clientèle, que ce soient les restaurants, les librairies, les hôtels, les taxis… Les arts et la culture représentent une richesse économique majeure dans toute ville. En plus d’incarner notre âme collective. C’est l’autre argument, celui de la valeur sociale. Les galeries d’art, les clubs de jazz, les compagnies de ballet, ne sont pas un luxe mais relèvent de l’indispensable, car ils enrichissent les tissus urbains et humains. Mon job est d’en convaincre les banquiers, de leur faire comprendre que c’est bon aussi pour eux de dire au monde:  » Les temps sont certes difficiles, mais nous tenons, même en ces circonstances, à apporter notre écot à la vie culturelle. »

Comment vous organisez-vous pour vos occupations d’acteur, vu cette quête économique qui vous accapare tant?

Ce n’est pas si compliqué que ça. Au théâtre, une fois que les tickets sont mis en vente pour les dates de représentations fixées des mois à l’avance, plus rien ne peut bouger. Je vais jouer Richard III, donc je sais que je ne pourrai prendre aucun autre engagement durant une dizaine de mois. Il y a les répétitions, les représentations à Londres et puis une tournée internationale de 9 villes sur 3 continents, et enfin une nouvelle série de représentation à Londres. Même si David Lean revenait d’entre les morts, et me proposait un rôle dans un film, je ne pourrais pas accepter ( rire)!

Votre personnage dans Margin Call a aussi comme trait de caractère une grande loyauté vis-à-vis de ses engagements…

Et c’est justement une des choses qui m’ont beaucoup intéressé dans ce rôle. Rien n’y est noir ou blanc. Voilà un type qui ne s’est pas fait des zillions de dollars, qui travaille depuis 34 ans dans la même société et a développé une certaine loyauté envers cette dernière. En même temps, il les a déjà prévenus, depuis un bon moment, que la bulle allait éclater. Mais personne ne lui a prêté attention… J’ai rencontré des tas de gars qui se sont retrouvés dans la même position. Et je leur ai demandé ce que cela leur faisait de se voir demander de faire quelque chose qu’ils jugeaient eux-mêmes fondamentalement erroné, mauvais, de nature à pouvoir détruire leur firme, ou leur réputation. Ils me répondaient presque tous, après un grand soupir:  » Je les ai prévenus, je les ai haïs de me faire faire ça, j’avais les boules contre mon patron, contre la position dans laquelle j’étais mis… Mais au bout du compte, je me suis dit qu’ils allaient le faire, avec ou sans moi. Alors, vu que j’ai un prêt hypothécaire, des enfants, une famille, que pouvais-je faire? » Cela, je pense que chacun d’entre nous peut le comprendre. Soyons honnêtes! Nous avons tous, à un moment ou à un autre, une personne d’autorité qui nous dit de faire quelque chose que nous désapprouvons. La question est: le faites-vous, ou pas?

Difficile d’être manichéen, donc?

Oui, les généralisations confortables sont irrecevables. Genre:  » Tous les banquiers sont des gens horribles et avides! » Si vous écriviez cela, ce serait du journalisme bien paresseux… Voilà pourquoi, aussi, j’aime tant le métier d’acteur. Vous y êtes forcé, par votre profession, à vous mettre dans les chaussures de quelqu’un d’autre, à essayer de le comprendre dans sa complexité, de lui donner une chance. Une expérience humaine, où rien n’est jamais juste ceci ou juste cela, mais toujours un peu des 2. Vous préparez un rôle, vous rencontrez des gens qui ont vécu réellement ce que vous allez jouer. C’est un exercice de moralité… D’ailleurs, c’est le compas moral avec lequel mon personnage dans Margin Call analyse les choses qui me l’a rendu passionnant à jouer.

Craignez-vous d’éprouver de plus en plus de difficultés à obtenir l’argent nécessaire à la bonne marche de votre théâtre?

Tant que ne dominera pas la voix de ceux qui pensent que la culture est un luxe impayable à une époque de choix drastiques où d’autres priorités (disent-ils) s’imposent, cela ira, je pense. Vous savez, en temps de crise plus encore qu’à d’autres moments, le spectacle bouillonne et attire les gens. Savez-vous quelle est, aujourd’hui, l’attraction qui génère le plus de visites de touristes aux Etats-Unis? Eh bien c’est Broadway, dont les théâtres ont battu, en 2010, le record absolu de vente de tickets. L’art n’est pas moins une nécessité que le gîte et le couvert.

On annonce, dans de plus en plus de pays, des réductions dans les subsides d’Etat à la culture…

La Grande-Bretagne a été parmi les premiers, avec 30 % de réduction sur une période de 4 ans. Cela ne nous affectera pas directement, à l’Old Vic, car nous ne recevons pas un centime d’argent public. Mais des centaines d’autres vont subir le choc de plein fouet. Alors nous devons tous parler d’une seule voix, et dire aux autorités:  » Si vous coupez dans les subsides, il nous faudra trouver plus de financement du côté des entreprises et des particuliers, alors modifiez les lois fiscales pour les encourager à dire oui… » Aux Etats- Unis, déjà, la plupart des maisons d’opéra ne vivent que grâce aux incitants fiscaux.

Le fait que vous soyez une vedette de cinéma facilite-t-il la récolte de fonds?

Je serais hypocrite si je disais non. La perspective de dîner avec un acteur de cinéma connu est plus attrayante que celle de dîner avec le directeur d’un théâtre des faubourgs londoniens… J’en suis tellement conscient que j’aide aussi, désormais, d’autres institutions amies à chercher des fonds. Je n’éprouve aucune gêne à fréquenter des gens de pouvoir, des financiers. J’en arrive même à bien les aimer… quand ils me signent un chèque ( rire)! l

RENCONTRE LOUIS DANVERS, À BERLIN

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content