Faut-il forcément partir en ermite pour accoucher d’une ouvre? Non, mais c’est parfois la seule manière de se débrancher d’un monde toujours plus connecté.

Ainsi, l’un des albums (l’album?) de 2008 a été enregistré dans une cabane de chasseur au Wisconsin. De quoi laisser rêveur. Ce n’est pas le seul cas dans le genre, loin s’en faut. Comme si pour créer, il fallait d’une manière ou d’une autre s’isoler du monde pour mieux fabriquer le sien. Après tout, l’étape est logique. Aujourd’hui cependant, l’inspiration ne se trouve pas seulement en changeant d’endroit, mais aussi en modifiant le décor. Avec une prédilection pour le « tourisme vert ». Retour à la nature? Le regain de la scène folk de ces dernières années pourrait être interprété de cette façon: la recherche d’authenticité n’est jamais mieux servie que par les notes boisées de la guitare acoustique. Cela dit, on se rappelle aussi qu’en 2000, le duo électro Goldfrapp s’était déjà coupé de la « civilisation » pour mettre au point son premier album dans un chalet en pleine nature anglaise. Alison Goldfrapp enregistrera certaines parties vocales dehors, sous les étoiles. Sur Mule Variations, son album de 1999, Tom Waits a également travaillé au grand air. On peut entendre un coq éructer sur Chocolate Jesus par exemple, mais sans jamais que la bête n’empiète sur le chant de Waits. Explication de l’oncle Tom: « Un truc avec les animaux: quand vous enregistrez dehors, ils ont tendance à attendre que vous aillez fini votre phrase. Personne n’aime parler en même temps que quelqu’un d’autre, spécialement un coq. »

Plus près de nous, un groupe comme Arsenal et sa pop volontiers tropicalisante s’est mis au vert, ou plutôt au blanc, en… Norvège, pour préparer son dernier album. « On sortait, on n’entendait rien, on ne voyait personne, la luminosité était très faible. C’était parfait. «  Et le duo de piquer même une « pointe » jusqu’au Cercle polaire pour assister à une aurore boréale.  » Concevoir un disque doit rester une aventure », sourit Hendrik Willemyns. Pas forcément besoin d’aller si loin. La dernière tendance chez les groupes flamands, d’Hooverphonic à Shameboy en passant par Tim Vanhamel? Enregistrer dans les studios de la Chapelle, à Waimes, au fin fond des Fagnes.

FAIT MAISON

Le décor naturel est le même, mais la démarche des Girls in Hawaii est quant à elle un peu différente. S’ils se sont aussi baladés à travers les Ardennes, c’était pour s’arrêter dans une maison, puis une autre, et encore une autre, de Pussemange à Rocherath en passant par Daverdisse, indique le livret de Plan Your Escape. « Pas d’Internet, de télé ou de téléphone. Nous devions parcourir 300 m pour trouver du réseau et donner des nouvelles », confiaient-ils à la sortie du disque.

Les punks ont mis au goût du jour l’esthétique DIY, le Do It Yourself: plus besoin de savoir jouer pour monter un groupe. Aujourd’hui, la logique, et surtout la technique, ont encore poussé un peu plus loin la donne: plus besoin d’un studio suréquipé pour enregistrer un disque. Cela change tout. Et pas seulement parce que le musicien peut s’installer un peu partout. Plus mobile, il dispose aussi de plus de temps. « C’est ce qui a le plus de valeur à nos yeux », insistent les Girls In Hawaii. Le temps qui peut se faire élastique, puisqu’il n’y a plus de coûteuses heures de studio à payer. Le vrai luxe…

Le lieu d’exil a-t-il forcément une influence sur le produit final? La mythologie rock est remplie de ces endroits qui auraient marqué de leur empreinte tel disque. Récemment, le chanteur français Albin de la Simone sortait un nouvel album intitulé Bungalow. Celui qu’il a loué pendant trois mois à Bali pour concevoir le disque en question. « Une petite maison, avec un toit balinais en pointe. Au premier étage, la chambre, avec vue sur risière.  » Encore une précision: « Ah oui, pas de clim, un ventilo. » Le chanteur justifiait son maxi-trip dans ces pages: « Le fameux isolement pour la création , c’est pompeux mais c’est vrai. «  L’éloignement, par contre, n’a pas joué, selon lui. On a du mal à le croire mais il insiste: « J’aurais pu le faire à La Louvière. «  Et puis surtout, il n’était pas question de ramener des éléments culturels locaux. « Non, vraiment pas. Bizarrement, ce sont même plutôt des éléments de musique africaine, de celle que je jouais il y a 10 ans en accompagnant Salif Keita, qui sont revenus. Peut-être que c’est le temps nécessaire pour que cela remonte… »

Peu importe finalement. Que la création porte ou non les traces de l’endroit où elle a été accouchée, l’enjeu semble aujourd’hui ailleurs. Précisément dans le paradoxe suivant. D’un côté, la théorie des réseaux: tout le monde est pote avec tout le monde, multiplie les « featurings » à tout va, accumule les collaborations extérieures (jusqu’à se retrouver avec Madonna, invitée de son dernier single, entre Timberlake et Timbaland – le comble). De l’autre, ils sont de plus en plus nombreux à chercher la réclusion, l’isolement pour mieux se retrouver.

On est donc là. Souriez, vous êtes facebooké (myspacé, twitté,…), insiste l’époque. Pas de réseau dans ma cabane au fond des bois, répondent les nouveaux ermites…

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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