Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Rentré groggy de Gaza, Jérusalem et Bagdad, le chanteur de Spearhead s’est refait une santé en Jamaïque. Le message ne change pas, le soleil en plus.

La poignée de main est chaleureuse, le regard perçant. Avec sa longue carcasse filiforme, Michael Franti tutoie les mêmes hauteurs qu’un basketteur. Mais inutile de chercher les chaussures de sport siglées: cela fait plusieurs années maintenant que l’Américain se promène à peu près partout pieds nus. Pour l’heure, le chanteur est venu présenter son nouvel album All Rebel Rockers.  » Ce disque n’a pas un seul thème. Mais je me suis souvent demandé comment se lever chaque matin, écouter les nouvelles, voir toute cette merde, et quand même avoir la force de rester positif et constructif ? » La voix grave et douce à la fois, Michael Franti, musicien américain parmi les plus engagés de sa génération, commencerait-il à douter?

Après tout, on pourrait le comprendre. Né en 1966, à Oakland, il est adopté par Carol et Charles Franti. Il ne connaît pas ses parents biologiques, mais on lui raconte leur histoire.  » Mon père est noir, ma mère est blanche. Comme sa famille était très raciste, elle a pensé qu’ils ne m’accepteraient jamais.  » De quoi donner la rage. D’ailleurs, quand il se lance dans la musique, début des années 90, Franti joue l’attaque. Avec the Disposable Heroes of Hiphoprisy, il mélange rap et punk industriel. Un titre comme Television, the Drug of the Nation marque les esprits, et le duo formé avec DJ Rono Tse part même en tournée avec U2. Mais Franti se demande s’il ne prêche pas que des convaincus.

One love

C’est ainsi qu’en 1994, il fonde Spearhead. Aux ambiances métalliques et à l’agression sonore succède le groove soyeux d’un hip-hop funk positif, où Franti chante désormais plus qu’il ne rappe.  » Etre rebelle aujourd’hui, ce n’est pas seulement dire fuck the system . C’est aussi comprendre comment il fonctionne, l’analyser, et voir comment le changer. Cela passe par des actions concrètes. Par exemple? En trouvant des organisations qui travaillent déjà sur certains problèmes et voir comment les aider. A Bali, on a ainsi monté un centre de naissance pour les plus démunis. Plus d’un millier de bébés y sont nés l’an passé. »

Ces dernières années, Franti a aussi pas mal bourlingué. Notamment en Israël, en Palestine ou en Irak. Il en a ramené un disque ( Yell Fire!) et un documentaire ( I Know I’m Not Alone), qui ont laissé des traces. Histoire de prendre un peu de recul, il a depuis écrit un livre pour enfants ( » le meilleur moyen de changer les choses, c’est peut-être de commencer à la base, en m’adressant aux plus petits« ), et est parti enregistrer All Rebel Rockers en Jamaïque.  » Là-bas, contrairement aux studios américains ou européens, ce sont des endroits ouverts. Il y a toujours cinq gars qui trainent dans un coin. Vous ne savez pas qui ils sont, mais il y en toujours bien un pour vous interpeller: Hey man, sur le second couplet, tu as besoin d’un shaker . Vous vous dites: mais c’est qui ce gars, de quoi se mêle-t-il? Et puis, vous réécoutez et vous vous rendez compte qu’il avait raison.  » La Jamaïque, c’est aussi la terre natale de Bob Marley, héros de toujours. Et in fine, la voix vers laquelle on revient quand l’espoir s’émousse.  » Dans une île ravagée par la violence, à l’époque encore bien plus que maintenant, voilà quelqu’un qui déboulait avec un message d’amour et d’unité. One love! One heart! Aujourd’hui, cela sonne presque comme un slogan de pub. Mais à l’époque, c’était complètement radical et subversif. »

u Michael Franti & Spearhead, « All Rebel Rockers », Anti/Pias.u www.spearheadvibrations.com

Laurent Hoebrechts

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