Mère courage

© BOB SWEENEY

Camae Ayewa épingle le racisme de la crise du logement sur un disque de free jazz né sur les planches d’un théâtre.

 » There’s been so much trauma. I don’t even know where to start. I don’t even know what year. I got my momma’s years, my daddy’s years all mixed up inside of me. Deep in me. Deep in my bones. » À l’entame de Circuit City, nouvel album de Moor Mother, le I Am Not Your Negro de Raoul Peck sur James Baldwin et Between the World and Me, la lettre ouverte de Ta-Nehisi Coates à son fils, viennent tout de suite à l’esprit. Poétesse, musicienne, Camae Ayewa est avant tout une combattante, une activiste qui a fait des distinctions raciales et des systèmes d’oppression les luttes de sa vie, le coeur de son oeuvre. La musique, les mots et l’art plus généralement en bandoulière, la fille de Pennsylvanie entend construire un monde et un futur meilleurs. Meilleurs pour l’Amérique noire. Meilleurs pour l’humanité.

Du 20 au 22 juin 2019, Moor Mother proposait au FringeArts de Philadelphie sa première création théâtrale. Quelque part entre la pièce de théâtre, la comédie musicale et le poème chorégraphié, Circuit City se présentait comme une exploration de la propriété publique et privée, du logement et de la technologie. Avec pour décor un salon dans un complexe à appartements aux mains d’une société. Cet ovni, l’album sorti sur le label Don Giovanni en est une version discographique. Il parle notamment de logements sociaux, de brutalité policière ou encore de redlining, cette pratique discriminatoire consistant à refuser ou limiter les prêts aux habitants de zones géographiques déterminées. Le terme a été inventé dans les sixties par un sociologue en référence aux lignes rouges qui délimitent les zones dans lesquelles les banques devraient éviter d’investir. Typiquement le terrain de jeu de Moor Mother, qui aime s’aventurer là où les autres ne vont pas.

Mère courage

Irréversible?

 » You can’t go to war without a drum. And you can’t timetravel, seek inner and outer dimensions without freejazz« , clame d’emblée Camae Ayewa avec une conviction inébranlable. Alors que sortait voici quelques mois Offering, son concert du festival Le Guess Who? enregistré en novembre 2018 avec la flûtiste et compositrice Nicole Mitchell, Circuit City a été mis en boîte avec Luke Stewart (basse), Keir Neuringer (saxophone/percussion), Tcheser Holmes (batterie/percussion) et Aquiles Navarro (trompette percussion). Soit ses géniaux comparses free jazzmen d’Irreversible Entanglements en compagnie desquels elle nous renversait avec Who Sent You? en début d’année. Les touches électroniques d’Ada Adhiyatma et les backing vocals d’Elon Battle (sur Time of No Time) viennent pimenter ce disque politique plein de souffle divisé en quatre actes d’une dizaine de minutes. Un album radical, chaotique, expérimental. Philadelphie enregistrerait quelque 22 000 expulsions officielles chaque année…

Moor Mother

« Circuit City »

Distribué par Don Giovanni.

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