Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

BEAUBOURG CONSACRE UNE EXPO À L’oeUVRE PICTURALE DE DUCHAMP. UN PARADOXE POUR CEUX QUI CONSIDÈRENT QUE L’ARTISTE A ACCROCHÉ LA PEINTURE À SON TABLEAU DE CHASSE.

La Peinture, même

MARCEL DUCHAMP, CENTRE POMPIDOU, À 75 004 PARIS. JUSQU’AU 05/01.

8

C’est l’un de ces poncifs qui ont la peau dure: Marcel Duchamp aurait liquidé la peinture et, dans la foulée, confisqué toute possibilité d’avenir à la création artistique. Après Duchamp, point de salut. S’il n’est pas faux de pointer cet artiste comme à la base de l’une des dernières véritables ruptures formelles, il existe des raisons de croire que le créateur de Fountain, la « fontaine pissotière », plaçait l’art pictural au-dessus de tout. Reprenons l’affaire depuis le début. Quel est le procès que l’on fait habituellement à celui que Breton décrivait comme « l’homme le plus intelligent de son époque« ? Son iconoclasme. En clair, d’avoir osé démontrer qu’un artiste ne produisait pas forcément de l’art avec un pinceau et une toile, à la manière d’un pommier des pommes. La rupture Duchamp n’est pas anodine, elle est radicale mais également révélatrice de l’estime dans laquelle il tient l’art pictural. S’il opte pour le ready-made, c’est qu’il pense non pas que la peinture n’a plus rien à dire mais que plus personne n’est en mesure de la comprendre. Dans Marchand du sel, un ouvrage écrit en 1958, il revient sur la question: « Il m’était impossible de me faire à la peinture éclaboussée au hasard des coups de pinceau sur la toile. Je voulais revenir à un dessin absolument sec, à la composition d’un art sec (…). Je commençais à apprécier la valeur de l’exactitude, de la précision, l’importance du hasard. Le résultat fut que mon travail ne trouva plus d’amateurs, même parmi ceux qui aimaient l’impressionnisme et le cubisme. » Il est vrai que même ses « frères » cubistes lui ont tourné le dos à la suite d’une toile qui incarne tout le paradoxe Marcel Duchamp: le Nu descendant un escalier (n°2).

Alpha et oméga

Lorsqu’on déambule à travers La Peinture, même, on ne peut s’empêcher de s’arrêter devant ce chef-d’oeuvre d’1m46 sur 89 cm daté du début de l’année 1912. Il est l’alpha et l’oméga de la peinture de Marcel Duchamp. On aime le déplacement qu’il opère au sein de la théorie cubiste: plutôt que de montrer différentes facettes d’un même personnage, Duchamp donne à voir plusieurs instants, glissant subtilement de l’espace au temps et du temps au mouvement en sa forme schématique. L’oeil n’arrive jamais à épuiser véritablement cette toile verticale d’une grande homogénéité chromatique: jaune, ocre, marron rouge, vert de gris, bistre, sépia… Le tout pour un effet qui rappelle celui du carton. La silhouette allusive, qui n’a pas manqué de faire scandale lors de ses premières expositions -certains critiques parlant d’un « escalier descendant un nu » plutôt que l’inverse en raison du foisonnement des lignes-, se détache sur fond d’escaliers disloqués. L’écheveau des lignes de ce nu fascine par sa rythmique, géométrique, qui répète celle nécessaire à la descente des marches. Des traits, proches d’un art populaire comme la bande dessinée, accentuent l’impression de mouvement. Au bout de la série, on distingue clairement un profil féminin. Cette décomposition du mouvement est l’aboutissement de toute une tradition picturale et de nombreuses recherches photographiques. Elle la porte à un niveau probablement indépassable dont Duchamp avait la pleine conscience.

WWW.CENTREPOMPIDOU.FR

MICHEL VERLINDEN

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content