Digne héritier de Johnny Cash, Mark Lanegan dégaine deux albums. L’un enregistré avec Greg Dulli. L’autre en compagnie d’Isobel Campbell. Portrait.

Il a le corps d’un homme solide marqué par les excès. Le regard fuyant et le mot rare. On aimerait lire dans ses pensées, boire ses paroles. Mais Mark Lanegan est un personnage mystérieux. Des tas de légendes existent sur l’ex-Screaming Trees. L’une d’entre elles veut que Josh Homme et Tim Vanhamel, qui travaillaient à l’époque sur le premier album des Eagles of Death Metal, l’aient caché à Anvers. Il était alors recherché par la police italienne. « C’est le genre de gars que j’aimerais avoir à mes côtés lorsqu’éclate une bagarre de rue, dit de lui l’ancien Guns N’ Roses Duff McKagan. Mark est un mec intelligent, qui porte un regard saugrenu sur la vie. » En tout cas, à 18 ans déjà, le bonhomme plonge pour des affaires de stupéfiants. Arrêté, condamné, il sort de prison en acceptant une cure de désintoxication d’un an. La première d’une jolie collection.

Lanegan, dont la voix rappelle Tom Waits et Johnny Cash, a très tôt le goût de la collaboration. Parallèlement au parcours rocailleux des Screaming Trees, il se lance, au début des années 90, dans un projet bluesy: The Jury avec Kurt Cobain. Si aucun disque ne voit le jour, le leader de Nirvana et Kris Novoselic mettront la main à son premier album solo. Lanegan travaillera aussi avec Melissa Auf der Maur, Mondo Generator, les Walkabouts et les Masters of Reality.  » Même quand je sors des disques solos, je ne les enregistre pas tout seul. Des tonnes de gens gravitent autour de moi « , commente le lascar, les yeux hagards, attablé dans un café bruxellois. « J’aimerais te voir sortir un disque a capella », plaisante Greg Dulli qui défend à ses côtés l’album et le rock ténébreux des Gutter Twins. « Comme Bobby McFerrin? », lui rétorque l’autre d’une mine dubitative.

JUMEAUX DE GOUTTIèRE

Lanegan avait déjà pointé le bout de sa voix sur les albums des Twilight Singers chers au chanteur des défunts Afghan Whigs. Le premier Gutter Twins sorti il y a quelques semaines était une idée de longue date. « Elle remonte au début des années 2000. A vrai dire, nous avons enregistré nos premiers morceaux des Gutter Twins il y a cinq ans, retrace Greg Dulli. Mark et moi, nous investissons dans de nombreux projets. Il joue avec plein de groupes. Je suis parti pendant près d’un an en Italie. Les choses se passent quand elles le doivent. Quand elles deviennent une priorité. « 

Les deux hommes se sont rencontrés lors d’une soirée à Seattle, il y a une vingtaine d’années.  » Nous nous sommes vraiment rapprochés il y a dix ans, pointe Greg Dulli. Je vois ce disque comme une extension de notre amitié et de nos expériences musicales passées. Mark est l’un des meilleurs amis que je n’ai jamais eus. Nous n’avons pas besoin de nous parler beaucoup. Nous nous comprenons. » « Nous partageons une certaine sensibilité musicale, se réveille la voix d’outre-tombe de Lanegan. Nous avons pas mal de goûts en commun. Comme le basket-ball. » « Nous voyons la vie de la même façon, reprend Dulli. Ce sont une philosophie et des principes assez basiques somme toute. Aime ton prochain. Vis heureux. Apprends à devenir quelqu’un de meilleur. » « Et ne touche jamais à la salade de crabes », ironise son compère. Les jumeaux de gouttière ont bossé de nuit sur Saturnalia. A Arcadia, à Los Angeles, à la Nouvelle Orléans. On imagine les sessions imbibées. « Mark ne boit pas. Et je ne me rappelle pas avoir picolé grand-chose à part de l’ice tea », rectifie Dulli. Isobel Campbell connaît moins bien la bête que lui. Ils avaient travaillé à distance sur Ballad of the Broken Seas. Ils sont entrés ensemble en studio pour mettre en boîte Sunday at devil dirt. A paraître sous peu. « Quand Mark est arrivé à Glasgow, il était complètement vanné, se rappelle Isobel . Epuisé par le décalage horaire, il s’est rapidement endormi dans le fauteuil. » Certains l’auraient sans doute pris comme une forme de grossièreté. Isobel en parle plutôt avec fierté: « Je l’ai perçu comme une preuve de confiance. Le signe qu’il se sentait en sécurité. «  Elle permet, autant que le danger, d’enregistrer de grands disques. On en reparle sous peu.

The Gutter Twins: Saturnalia, chez Sub Pop. En concert à l’AB le 11/4. Isobel Campbell & Mark Lanegan: Sunday at devil dirt, chez V2. En concert à l’AB le 7/6.

TEXTE JULIEN BROQUET

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