Palme d’or à Cannes avec Entre les murs, Laurent Cantet filme l’école d’aujourd’hui avec une belle générosité. à rebours de certains clichés, comme son discours d’ ailleurs…

Focus: sitôt la Palme d’Or proclamée, on a pu lire, voir et entendre pas mal de réactions à chaud émanant de responsables (politiques, surtout) dénonçant l’angélisme supposé d’un film… que ces gens n’avaient pour la quasi-majorité pas vu! Comment avez-vous pris ces commentaires?

Laurent Cantet: en France, le débat sur l’école est un sport national! Tout le monde a le sentiment de pouvoir porter un avis autorisé sur la question, et surtout de savoir ce qu’il faut penser et faire. Evidemment, accuser le film de présenter une vision « idyllique » des choses est facile quand on ne l’a pas encore vu! Entre les murs décrit toute une série de situations complexes qui donnent évidemment tort à ceux qui ont ouvert le bal un peu tôt – le ministre de l’Education Nationale, entre autres – et qui, après, ne savent plus par quel bout prendre ce film. Car il n’est pas idéologique, il ne prend parti ni pour une pédagogie ni pour une autre, il rend compte des tentatives, des impasses. Il ne se pose pas en juge de ce qu’est l’école, de ce qui n’y va pas et de ce qu’elle devrait être. Il dit juste: voici ce qui peut se passer dans cette classe-là, avec ces élèves-là et ce prof-là.

Votre film montre la différence que peut faire un enseignant motivé. Alors même que l’on supprime plus de dix mille postes par an dans l’enseignement français!

J’ai pu constater moi-même, en travaillant avec mes élèves-comédiens, à quel point la confiance qui s’installe progressivement permet d’aller plus loin. Il faut du temps pour créer cette relation forcément individuelle avec les uns et les autres. Les classes trop nombreuses, la fatigue (car être prof, c’est s’engager totalement, chose forcément épuisante) font obstacle. Et ce n’est pas en supprimant des budgets, des postes, qu’on va pouvoir améliorer les choses, créer un cadre scolaire plus harmonieux…

Quelle était votre motivation au moment d’aborder le film?

J’avais envie de dire: on parle trop de l’école. Regardons-là d’abord! De m’extraire du débat idéologique pour juste regarder la réalité. Il suffit d’observer attentivement la réalité pour s’apercevoir qu’elle est pleine de fictions potentielles, qu’elle est en elle-même porteuse de toutes les histoires possibles. Il n’y a qu’à regarder, puis à raconter. Avant même de lire le livre de François Bégaudeau, j’avais moi-même commencé à écrire un scénario qui devait se situer entièrement entre les murs d’un collège. Ce qui en reste, dans le film, est l’histoire de Souleymane.

Le choix de ne pratiquement pas quitter le cadre de la classe, de rester en huis clos, était là d’emblée?

Nous avons fait le pari que ce qui était intéressant, c’était les relations entre les gens, et que le huis clos s’y prêtait bien. Après, quand on a commencé à tourner, quand on s’est retrouvé pour la première fois dans cette classe que nous n’allions plus quitter pendant des semaines, j’ai eu un peu peur qu’on s’ennuie, et que donc le spectateur s’ennuie aussi peut-être… Mais nous nous sommes en fait beaucoup amusés durant ces cinq semaines, et quand nous sommes sortis, à la fin, faire les plans dans la cour, nous avons réalisé que ce qui s’était passé avant, dans la classe, était vraiment le plus important, que le film était là!

Vous aviez préparé le terrain en organisant des ateliers dans le collège…

Oui, c’était crucial. Nous avons amené les élèves-comédiens à improviser, à partir de leur expérience. Certains éléments de ce travail ont fait leur chemin dans le script, dans la définition des personnages. Et puis, durant le tournage (qui s’est mené presque tout à fait chronologiquement), chaque scène était introduite par le prof, François, et les jeunes de la classe, ignorant jusque-là de quoi il allait être question, y réagissaient spontanément. Ils étaient très bien rôdés, grâce à cette année d’ateliers, et cela ne posait plus aucun problème. Après la première prise, on rebondissait sur leurs réactions, et on en tournait une ou plu-sieurs autres où ils jouaient alors consciemment à partir de ce que l’on voulait garder de leur impro.

Cette idée de faire jouer des non professionnels vous tenait à c£ur?

Elle est à la base de mon désir de faire le film. Il y a une quinzaine d’années, j’avais fait un court métrage intitulé Tous à la manif’ où je filmais, dans un café, des lycéens organisant une grève. J’avais beaucoup écouté ces jeunes, et depuis ce tournage, j’avais comme une nostalgie de cette méthode qui m’avait paru très efficace, et garante de liberté. Et puis, dès le début du travail avec François, on s’est dit que nous n’allions pas chercher à reproduire le livre, mais bien plus son dispositif. On allait constituer une classe, proposer des débuts de scène comme le fait un prof en ouverture de son cours (un cours relève entre autres de la représentation) et voir comment cette classe allait résonner, s’approprier les choses, les vivre devant la caméra. Nous voulions filmer une espèce de réalité, non pas à la manière d’un documentariste, mais en assumant la part de fiction que cette réalité-là contient.

De manière générale, ce sont plutôt les filles qui s’illustrent, voire qui prennent le dessus dans le film…

En effet. Cela reflète, je pense, une réalité de l’adolescence. A cet âge-là, les filles sont généralement plus mûres que les garçons. Par ailleurs, il se trouve que parmi ces filles, il y avait quelques personnages d’une force peu banale, dans la vie réelle, des nanas qui n’ont pas envie de s’en laisser conter. Et qui, plus stigmatisées que les garçons, et en réaction au regard qu’on porte sur elles, ont appris à se défendre avec des armes que les garçons n’ont pas.

Comment a été prise la décision de faire jouer le prof par François Bégaudeau lui-même?

C’est assez rapidement devenu une évidence. Il l’avait lui-même déjà envisagé. Je n’avais pour ma part aucun doute sur ses talents d’acteur, finalement inhérents à sa fonction. Un prof est le seul à savoir comment se tenir devant une classe, comment la « dompter ». Un acteur n’aurait jamais su faire ça! De plus, François était aussi un peu mon « double » dans la scène. Il savait aussi bien que moi ce que nous vou-lions obtenir, et il orientait la scène dans cette direction.

En regardant vos films, on y trouve une sorte de fil rouge: votre cinéma est dans le monde, la société, et la société, le monde, sont dans votre cinéma…

Le cinéma permet l’incarnation. Il m’offre la possibilité de partager, d’exprimer ce que vivent les gens, ce que sont leurs préoccupations. Je ne suis pas un militant, j’ai très peu de certitudes politiques… sinon que je pense que plein de choses devraient changer (mais où, comment, je n’en suis pas certain). Ma façon de faire de la politique, c’est à la première personne. Me sentir impliqué, accepter l’idée que le monde est tellement compliqué qu’on n’a pas une réponse unique à donner, mais qu’on en a plein. ça, c’est vrai que mes personnages l’incarnent toujours. Mes films ne sont pas films à thèse. Le message n’y est jamais le centre de la scène. Mes idées y sont mais comme en contrebande…

Entretien Louis Danvers

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