LE RÉALISATEUR BELGE STEFAN LIBERSKI FAIT DE PAULINE ÉTIENNE SA TOKYO FIANCÉE, POUR UNE COMÉDIE MADE IN JAPAN RÉUSSIE.

Le Japon, il en rêvait. Y faire un film? Stefan Liberski en a eu le désir, lui qui place le cinéma japonais au-dessus des autres. Le roman de son amie Amélie Nothomb, Ni d’Eve ni d’Adam, a cristallisé l’un et l’autre, lançant le cinéaste et humoriste bruxellois sur la voie de son plus audacieux projet. Tokyo Fiancée (lire critique page 37) justifie le(s) voyage(s), et aussi les importants efforts engagés dans sa concrétisation, notamment après que la catastrophe de Fukushima a stoppé une pré-production du film qui allait bon train jusque-là… « Si je n’avais pas eu ce penchant pour le Japon, le projet aurait pu être abandonné, constate Liberski, car plus personne ne voulait y aller: la catastrophe prenait toute la place, et le film était tout petit, sans aucune importance comparé à cet immense malheur… » Le cinéaste a continué à lire beaucoup sur le Japon, « sur ce peuple qui m’intéresse tellement« . Cette passion constante a permis de garder vivant le rêve de Tokyo Fiancée, avec l’appui fidèle du producteur et distributeur liégeois Versus/O’Brother, animé par les frères Bronckart.

Sur les pas d’Amélie…

C’est au tournant des années 2000, quand son fils a manifesté pour le Japon un soudain enthousiasme, que Stefan Liberski s’est lui-même retrouvé pris par l’envie d’aller voir le pays d’où venaient ces films d’Ozu, de Kurosawa, de Mizoguchi qui le faisaient vibrer depuis l’adolescence. « Cette soif, cet appétit que mon fils avait du Japon a déclenché cela chez moi« , se souvient celui qui y fait une allusion directe dans Bunker Paradise, son film de 2005.Un film dont son fils Casimir signa justement la musique, et où un gamin s’envolait symboliquement vers le pays du soleil levant pour échapper à un horizon européen bouché, « en déliquescence« .

De voyage en voyage, le projet d’adapter Ni d’Eve ni d’Adam grandit et se nourrit. « De tous les romans d’Amélie, c’est celui qui m’a fait le plus rire. Il ne contient ni monstre, ni chancre, et réunit deux beaux jeunes gens amoureux« , explique le réalisateur que cette histoire d’une toute jeune femme belge voulant devenir japonaise a autant touché qu’amusé. « La question de l’identité m’a toujours intéressé, moi qui suis belge mais aussi polonais, explique Liberski. L’héroïne de mon film n’est pas la seule à désirer être autre chose: son élève japonais fait partie d’un groupe d’étudiants passionnés par la France et se rêvant sans doute un peu français eux-mêmes… » Par-delà son anecdote amoureuse et sa dimension de comédie piquante, mélancolique aussi, Tokyo Fiancée reflète à sa manière l’état d’un monde globalisé, où la jeunesse voyage, s’expatrie (par désir ou par nécessité), s’installe ailleurs et se frotte à d’autres cultures au point parfois de vouloir y adhérer pleinement. « Je n’arrive pas à parler gravement des choses graves, je préfère les aborder avec légèreté, précise le cinéaste, c’est presque une éthique de création pour moi. J’ai toujours été indigné, par exemple, que des gens se fassent des couilles en or (et des Palmes d’Or) avec la misère… L’époque est lourde, soyons légers! Les Japonais ont vis-à-vis du malheur une réserve, une discrétion, qui sont une forme de courtoisie. »

… et sur ceux de Pauline

Un autre élément d’attraction pour Liberski au Japon est l’intérêt qu’il manifeste depuis longtemps pour les codes (en épinglant par exemple, d’hilarante façon, ceux de la haute bourgeoisie uccloise dans ses sketches télévisés). « Dans la société japonaise, les codes ont une importance cruciale, relève-t-il, et c’est carrément autre chose: un Occidental ne peut jamais totalement en saisir la signification profonde. La grammaire japonaise est assez simple, mais il y a des tas de subtilités, d’éléments de langage, liés à la manière de s’adresser à quelqu’un, selon vos rapports d’âge, de lien familial, de rang social…  »

Incapable de percer tout le sens de l’étiquette nipponne, l’étranger gagne « une liberté que les Japonais n’ont pas -même les rebelles qui veulent transgresser les usages en ignorant à dessin la bonne formule de politesse, s’attirant ainsi des remarques, sinon une franche réprobation. » Au Japon, Stefan Liberski a remarqué, admiratif, « le maillage social, l’attention des uns aux autres, aux personnes âgées par exemple, qui existent encore là-bas. » Il a aussi vu se confirmer la réputation de sûreté de Tokyo, « où on pouvait laisser tout le matériel de tournage dans une camionnette ouverte sans courir le moindre risque qu’il soit volé! »

L’Amélie du film aurait pu avoir le visage d’une autre comédienne, plusieurs devant se succéder à l’hôtel Lutetia, à Paris, où se tenait le casting. « La première à se présenter fut Pauline Etienne, se rappelle Liberski, je ne l’avais jamais vue « en vrai » et c’était… » Le cinéaste cherche les mots justes pour décrire l’évidence ressentie en présence de l’actrice: « J’étais très troublé car c’était tellement immédiat, je me suis dit que ce n’était pas possible, que je m’emballais trop vite (c’est bien moi, ça!). Mais c’était elle, avec cette peau d’actrice qui dégage de la lumière, qui éclaire la pièce… J’ai tout de même fait mon boulot et vu les autres, mais pour la forme. Car seule Pauline pouvait être Amélie. Et elle a tenu bon à travers tous les aléas qu’a connus le projet… Suite au report du tournage, elle a fait La Religieuse avant, un rôle pour lequel elle s’est coupé les cheveux (ce qui va bien au personnage de Tokyo Fiancée) et un film qui a été une expérience très dure aussi, avec un prix énorme à payer, qui l’a fait grandir et être plus que parfaite pour jouer Amélie quand le film a enfin pu se tourner. »

RENCONTRE Louis Danvers

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