Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Par où commencer? Par le jour où Shaun Ryder, tombé endormi après une bière (ou 20), a déboulé dare-dare dans une salle de Newcastle et convaincu la sécu qu’il faisait partie du groupe à l’affiche pour se retrouver sur scène bien malgré lui aux côtés de Simply Red? Les Happy Mondays jouant dans un autre club du quartier… Par la fois où lui et ses lascars de potes se sont fait latter par les videurs au Barrowlands de Glasgow pour être entrés par effraction dans la loge de New Order en quête de bibine? Ou non, peut-être par cette scène d’anthologie, immortalisée dans le 24 Hour Party People de Michael Winterbottom, où les frères Ryder empoisonnent et tuent sur le toit d’un immeuble des centaines de pigeons (3000 selon Shaun)? Tout ce qui a été dit et écrit sur les Happy Mondays n’est pas vrai. Le fait que les oiseaux aient explosé en plein vol à cause de grains de riz qui auraient gonflé dans leur estomac par exemple est pure légende. En attendant, les anecdotes sur les Lundis heureux pillulent. Euh pardon. Pullulent.

Les Happy Mondays naissent à Salford, the Dirty Old Town, dans la banlieue industrielle de Manchester, au tout début des années 80. Shaun, interdit de séjour par sa mère, a dégagé de la maison familiale à quatorze piges. Il a déjà passé quelques mois derrière les barreaux et travaillé pendant trois ans à la poste, d’où il s’est forcément fait renvoyer, quand il décide de monter un groupe avec son frère Paul. Son père Derek, un ancien mineur, prend en charge la technique. Salford est un quartier de chômeurs. Ryder dit y vivre de vols de voitures et de trafics divers. « Rien de dangereux. Juste de l’acide, de la cocaïne et de l’ecstasy« , déclarera-t-il plus tard aux Inrocks.

Les Happy Mondays donnent leur premier concert à l’Haçienda, le deuxième de leur existence, lors d’un concours en 1983. Les frangins terminent derniers de cette Battle of the bands perdue d’avance. Heureusement, Paul est à l’époque le facteur de Peter Hook. « Il glissait toujours des cassettes de démos dans ma boîte aux lettres, raconte le co-fondateur de Joy Division et de New Order dans L’Haçienda. La Meilleure façon de couler un club (éditions Le Mot et le Reste). Quand j’ai reçu The Egg, je l’ai refilée à Tony Wilson. Ils venaient de Little Hulton (comme moi) et j’étais décidé à leur donner une chance. C’est pourquoi j’étais furieux quand Tony a confié la production de leur album (enfin, juste le single Freaky Dancin, ndlr) à Barney (lisez Bernard Sumner, ndlr). Ils sont devenus le seul autre groupe à succès signé chez Factory. »

Madchester united

Squirrel and G-Man Twenty Four Hour Party People Plastic Face Carnt Smile (White Out). Produit par John Cale du Velvet Underground, le premier album des Happy Mondays fait moins parler de lui pour sa qualité que pour son nom interminable. Les protégés de Tony Wilson qu’il présente comme une bande de dealers de drogues font malgré tout leur chemin et enregistrent Bummed. Un disque de funk kaléidoscopique souvent considéré comme l’équivalent rock de l’acid house et sur lequel Ryder balance ses paroles salaces.

Présenté comme la rencontre de Sly Stone et du… Velvet, le son des Mondays est baptisé « Madchester » ou « baggy », pour son côté flottant et lancinant, comme les pantalons à pattes d’éléphants du même nom redevenus à la mode.

Kinky Afro, God’s Cop, Dennis and Lois, Step On… Produit par le DJ Paul Oakenfold, Pills’n’Thrills and Bellyaches est une tuerie. Le rock et la danse forniquent dans une ambiance de fête permanente. Le public indé se voit ouvrir tout grand les portes des dancefloors et Manchester devient l’épicentre d’une révolution à la fois musicale et culturelle. Les Mancuniens ne dansent pas que dans les raves. Ils s’accaparent leur son, leur philosophie et leur esprit. Subitement, les fans d’indie se mettent eux aussi à tortiller du cul et à agiter les bras en l’air, la pupille dilatée.

Car Madchester et les Happy Mondays glorifient bien évidemment l’usage de la drogue. « Ils étaient l’incarnation parfaite du rock’n’roll, se souvient Peter Hook. A l’instar d’Iggy Pop, de Nick Cave et de mes autres idoles, ils se contrefichaient de ce qu’on pouvait penser d’eux. A côté d’eux, Pete Doherty passe pour Cliff Richard. »

Mal produit, mal perçu, mal reçu, Yes Please!, le 4e album des Happy Mondays, est aussi celui qui mène Factory Records à la faillite. L’enregistrement a lieu à la Barbade. Les Ryder sont censés ne pas y trouver d’héroïne. Ils y carburent au crack et, rapidement fauchés, se font du fric en vendant des meubles piqués dans le studio d’Eddy Grant chez qui ils travaillent. Leur principal atout sur scène, Bez, simple showman qui agite des maracas et danse comme un poulet sans tête, se pète les deux bras (dont l’un se gangrène) et démolit huit voitures. Normal: il n’a pas le permis. Les ventes chutent. Factory ne rentre pas dans ses frais (le disque -un record pour l’indé- aurait coûté 400 000 euros) et est placé sous administration judiciaire. Séparation en 93. Fin de l’histoire -enfin pour le label: Ryder continue ses conneries. Il conduit en état d’ivresse et fait un accident avec une Lada volée à un curé. Abandonne femme et enfant pour la fille de Donovan. Passons l’épisode Black Grape, c’est une autre histoire. Inspirés par le retour relativement réussi des Stones Roses, les Happy Mondays en sont à leur 4e reformation (il y a même eu un album en 2007). Et remontent pour la première fois sur scène dans leur line-up originel. C’est la crise, m’sieurs dames. l

?LE 03/12 AU DEPOT (LEUVEN).

JULIEN BROQUET

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