L’intégrale de l’ouvre du cinéaste français est éditée en DVD. Moments de grâce en images, en musiques et en couleurs…

C’est là un pur concentré de bonheur, à savoir, rassemblés en une somp-tueuse édition DVD, l’intégrale des films de Jacques Demy, cinéaste essentiel auteur d’une £uvre dont la magie n’en finit pas d’opérer. Ce que traduit éloquemment ce coffret qui intègre classiques et films rares ou moins connus ( The Pied Piper, Lady Oscar), et jusqu’aux courts métrages animés de jeunesse, de même que commentaires et suppléments divers, en ce compris les différents documentaires que lui consacra Agnès Varda, sa compagne.

 » Mon souhait est de faire cinquante films qui seront tous liés les uns aux autres, dont les sens s’éclaireront mutuellement à travers des personnages communs » , expliquait Jacques Demy. Postulat clairement affirmé ici dans l’agencement même des titres, où l’on retrouve, en contrepoint de Lola, premier long métrage en forme de matrice, Model Shop, son pendant américain.

Lola (1960), un film chantant à défaut d’être déjà chanté, orchestre, autour du passage Pommeraye à Nantes, les chassés-croisés de l’existence entre une chanteuse de cabaret, le père de son enfant parti chercher fortune ailleurs, et un prétendant à l’aube de la vie. L’amour régit toute chose, en effet, et Lola oscille entre douceur tragique et légèreté. Non sans imprimer sa marque sur l’£uvre à suivre: on en retrouvera l’écho des Parapluies de Cherbourg, où réapparaît le prétendant déçu, à Model Shop, plongée quasi documentaire dans le Los Angeles de la fin des sixties où l’on rejoint Lola, délaissée, faisant commerce photographique de ses charmes dans un Model Shop, et même jusqu’aux Demoiselles de Rochefort.

Les deux font la paire

Tout contribue, en effet, au caractère autonome de l’univers de Jacques Demy, encore que celui-ci soit en prise sur le monde. Démonstration, bien sûr (après une troublante Baie des anges), avec Les Parapluies de Cherbourg, extraordinaire mélodrame sublimé et entièrement chanté. Une véritable révolution esthétique, et le premier sommet créatif du duo composé avec Michel Legrand, la moitié musicale de Demy. Le cinéaste cisèle un somptueux ballet de désirs asynchrones et, partant, porteurs de mélancolie, entre occasions manquées, rencontres différées, rêves de jeunesse et affres du temps. Et compose un monde oh combien romanesque, mais qui trouve comme toile de fond, au-delà des couleurs apposées sur la ville, la guerre d’Algérie.

Demy a aussi rencontré son interprète idéale, Catherine Deneuve – Tavernier compara leur couple de quatre films à Hitchcock et Grace Kelly. On la retrouve donc, aux côtés de sa s£ur, Françoise Dorléac et de l’immense Gene Kelly dans Les Demoiselles Rochefort, authentique musical à l’américaine et véritable ravissement pour les sens, des couleurs de la ville, repeinte pour la circonstance, aux chansons et autres chorégraphies. Les demoiselles, dans leur luxuriance, leur exubérance, leur grâce, leur musicalité, leur mélange de lyrisme et de trivial, sont la quintessence de l’£uvre demyesque en même temps qu’elles posent définitivement les contours de cet univers enchanté comme ceux d’un monde de tous les possibles. Ce qui se vérifiera, du reste, au gré d’une filmographie où l’on croise encore un homme enceint (Marcello Mastroianni dans L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune, farce à demi-aboutie), et où un ballet d’hélicoptère peut fort bien clôturer un conte de fées sis dans un aussi enchanteur qu’intemporel imaginaire – Peau d’âne, pure merveille par laquelle on ne se lasse de se laisser absorber.

Non, pourtant, que la conclusion soit généralement idyllique, tant il est vrai aussi que le réalisateur ose la confrontation entre sa vision fantasmée et la réalité. Musical et mélodrame se confondent, tandis que l’eau de rose s’évapore dans la douleur du quotidien, mouvement qui se vérifie aussi bien dans Les Parapluies de Cherbourg que dans Une chambre en ville. Deux films par ailleurs en chanté, comme l’on dirait en couleurs, mais qui connurent un sort bien différent: si le premier valut à Demy la Palme d’or à Cannes en 1964 et la reconnaissance internationale, le second, avec sa dimension sociale affirmée, connaîtra, à l’orée des années 80, un échec public aussi retentissant qu’injuste.

Bien sûr, il y eut aussi les égarements artistiques ( The Pied Piper, Parking), et les demi-réussites, comme Trois places pour le 26, ultime film, réalisé en 1988 et construit autour de Montand. Une £uvre qui, pour revisiter diverses figures familières (le « couple » mère-fille, les amours contrariées, la fuite du temps, et même l’inceste), peine à renouer avec la magie d’avant, comme si l’artifice un brin grossier l’emportait ici sur la mélancolie accompa-gnant la promesse de félicité. Mais qu’à cela ne tienne: (re)voir Jacques Demy aujourd’hui, c’est vouloir se convaincre qu’il y a là un rêve peut-être accessible, une forme d’absolu cinématographique qui, pourquoi pas, déborderait sur la vraie vie. Tant il est vrai aussi qu’entrevoir le bonheur, c’est déjà le bonheur…

Intégrale Jacques Demy. 12 DVD, un recueil de textes et 1 CD audio autour de séances de travail de Michel Legrand. Editions Arte Video. Distribution Twin Pics.

Texte Jean-François Pluijgers

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