APRÈS AVOIR ENCHAÎNÉ LES SUCCÈS, LES BELGES D’ARSENAL REVIENNENT AVEC UN 5E ALBUM TOUJOURS AUSSI BIZARREMENT POP. AU MENU NOTAMMENT, MURAKAMI, GAVIN FRIDAY, UN MOYEN MÉTRAGE, ET DES RÉCITS DE FANTÔME. OU COMMENT LES HISTOIRES MUSICALES FINISSENT MAL (EN GÉNÉRAL)…

La citation est de l’écrivain japonais Haruki Murakami: « Si tu as besoin qu’on t’explique pour que tu comprennes, ça veut dire qu’aucune explication ne pourra jamais te faire comprendre. » Hendrik Willemyns, moitié bavarde du binôme Arsenal: « Pas d’accord. Pour certaines choses, une explication peut être réellement utile. En art, en littérature, par exemple. Vous passez à côté de plein de choses si vous lisez Ulysses de James Joyce sans en connaître un minimum le contexte. » A vrai dire, c’est aussi un peu le cas avec Arsenal. Non pas que la musique du duo formé avec John Roan soit particulièrement compliquée ou absconse. C’est même plutôt le contraire. Pop, directe, mélancolique, ça d’accord. Mais alambiquée? Pas le moins du monde. Par contre, elle est toujours aussi difficile à cerner. Vite fait, cela donne: cinq albums (dont un d’or) d’électro-pop-dance pour laquelle Roan et Willemyns engagent des chanteurs en studio (minimum trois, quatre différents par disque -Mike Ladd, John Garcia de Kyuss, Gavin Friday, etc.), tandis que sur scène Roan monopolise le micro. Surtout, chaque nouvel album semble être le prétexte à une aventure parallèle à la musique. Creusez un peu, et derrière la maîtrise clinique apparente, ça déborde de partout.

Flash nippon

L’album précédent, Lokemo (2011), avait notamment été nourri par Paper Trails, la série de documentaires que Willemyns avait réalisés pour la télé. Six épisodes en tout, chacun d’entre eux se penchant sur un livre en particulier: Les Détectives sauvages de Roberto Bolaño, Tendre est la nuit de F.S. Fitzgerald… « Cette fois-ci, j’avais envie d’imaginer un concept centré sur la musique. Ce qui n’est pas simple. Il existe plein de documentaires qui parlent de la musique d’une manière ou d’une autre. Mais c’est toujours pour se pencher sur un groupe ou un chanteur en particulier, ou un genre, une époque… Jamais sur la musique en elle-même, et la puissance qu’elle peut avoir. » La solution? Laisser tomber le format documentaire et s’essayer à la fiction. « On a directement imaginé toute une série d’histoires. »

Ce sont elles qui ont guidé la confection de Furu, le nouvel album. « Avec Arsenal, on peut partir dans plein de directions différentes: pop, hip hop, shoegaze, rock, dance, samba… Travailler avec des Brésiliens, des Esquimaux, des Indiens, des Chinois… Il y a trop d’options. En imaginant une série d’histoires, cela nous a permis de nous limiter. » Point commun entre tous les récits: ils finissent mal… « Pour chacun des personnages principaux, la musique était une mauvaise idée, un mauvais choix. Ils ont tout sacrifié pour elle, et ils paient le prix fort. On la présente comme une énergie très puissante, mais qui peut aussi être très destructrice et briser des vies. » Etrange conception pour un groupe qui a su rapidement trouver le bon filon (au point de pouvoir remplir cinq Ancienne Belgique d’affilée lors de la dernière tournée)? « Aujourd’hui, la musique est le plus souvent « vendue » comme quelque chose de très positif, « gentil », qui unit les gens et leur permet de se dépasser, très feel good. On trouvait intéressant de montrer l’inverse. En outre, j’ai parfois l’impression que la musique a perdu beaucoup de sa force. C’est devenu un truc pour lequel il ne faut plus payer, qui n’a plus énormément de valeur. Avant, par exemple, quand vous aimiez un groupe comme les Dead Kennedys, cela dépassait le simple cadre musical. Cela signifiait d’autres choses, en termes de politique, d’habillement, de classe sociale… La musique donnait accès à des mondes très différents. Tout ça est parti. Tout est devenu plus diffus.  »

Quand il imagine le « scénario » de son prochain disque, le duo voit l' »action principale » de Furu se dérouler au Japon. En deux mots? Il est question d’un DJ, hanté par le fantôme de sa copine, qui vient le visiter chaque nuit, à la fenêtre de son appartement, au 26e étage d’une tour de Tokyo. « Furu veut dire tomber en japonais -ce qui vous donne une idée de la suite… » Willemyns et Roan commencent à bien connaître le pays. Pour le docu Paper Trails consacré à Murakami (et son livre La Ballade de l’impossible), le binôme s’était rendu à Tokyo une première fois. L’occasion d’un grand flash, un vrai coup de foudre -depuis, Hendrik a même pris des cours de japonais (« je peux tenir une conversation dans un taxi« ). « L’histoire parle aussi d’une collision entre la modernité et la tradition, entre le mouvement et le statu quo. Or le Japon est vraiment au coeur de ce tiraillement. Tokyo est une ville hypermoderne mais où existe aussi une vraie tradition encore très forte, très visuelle. Souvent, le folklore est vu comme un truc « mignon ». Ce n’est presque jamais cool. En fait, cela ne l’est nulle part, sauf au Japon. La tradition est toujours là, pas besoin de la chercher très loin.  »

Précision: Furu n’a pas été enregistré sur place. Il contient même très peu d’éléments musicaux asiatiques (ici quelques pincements de cordes de koto, ou là de shamisen). Par contre, il connaîtra bien une déclinaison filmée, un moyen métrage. « On était occupés depuis six mois sur le disque, quand l’idée est arrivée sur la table. On s’est lancés. » Tourné au Japon, Dance Dance Dance est en cours de montage, prévu pour être montré à l’automne (une première au festival de Gand). Dans la foulée, il sera aussi le prétexte à une tournée de centres culturels (« on n’a jamais fait ça« ), pour un mix entre concert et séance de ciné. Arsenal, groupe kamikaze.

ARSENAL, FURU, DISTRIBUÉ PAR SONY. EN CONCERT E.A. LE 19/04 À LA LOTTO ARENA (ANVERS), LE 03/07 À ROCK WERCHTER, LE 12/07 AU CACTUS FESTIVAL À BRUGES…

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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