PAUL THOMAS ANDERSON ADAPTE THOMAS PYNCHON EN UN MÉMORABLE FILM TRIP, PLONGÉE À L.A. EN 1970, POUR UNE ENQUÊTE BRUMEUSE OÙ SE CONSUME L’UTOPIE HIPPIE.

Inherent Vice

DE PAUL THOMAS ANDERSON. AVEC JOAQUIN PHOENIX, JOSH BROLIN, OWEN WILSON. 2 H 28. SORTIE: 04/03.

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Venise, septembre 2012. S’acquittant de la promo de The Master, Paul Thomas Anderson évoquait ses projets futurs, et plus particulièrement une adaptation qui le titillait depuis quelque temps déjà, celle de Inherent Vice, ouvrage bien barré du cultissime écrivain américain Thomas Pynchon: « C’est difficile, parce que le livre est foisonnant, mais ce sera fort drôle. Comme ce sont ses mots, j’éprouve une sensation particulière: un peu comme si on empruntait la voiture de son père pour une virée… » (rires). Deux ans et demi plus tard, le film est sur les écrans, et l’on comprend mieux le sentiment qui habitait alors le réalisateur, qui réussit là une adaptation fidèle du roman de Pynchon, tout en signant une oeuvre n’appartenant qu’à lui.

Un décor post-mansonique

Au départ de Inherent Vice, il y a une intrigue de film noir, en version fumeuse s’entend. Soit celle qui, dans le Los Angeles de l’aube des années 70, entraîne Doc Sportello (Joaquin Phoenix), un privé cherchant son inspiration dans la marijuana, sur les traces d’un promoteur immobilier se trouvant au coeur d’un véritable sac de noeuds. C’est là le début d’une histoire passablement tirée par les cheveux (PTA s’assure d’ailleurs le concours d’une voix off pour les démêler quelque peu) où il sera encore question d’un flic réac, d’un saxophoniste surf, de jeunes filles en fleurs, d’un dentiste allumé, de vigiles nazis, de l’ex de Sportello, et l’on en passe, Golden Fang et autres: agitez, et ajoutez une solide dose de paranoïa, et vous obtenez un décor post-mansonique de circonstance. Soit le cadre tout trouvé d’une enquête filandreuse plongeant à la fois au coeur de la contre-culture et dans les méandres d’une Amérique où crépitent les derniers feux des sixties psychédéliques.

Arrimé à l’esprit embrumé de Sportello (prodigieux Joaquin Phoenix, qu’encadrent idéalement Josh Brolin, Owen Wilson et autre Katherine Waterstone), Anderson met ce contexte à profit pour signer un hallucinant film trip sous influence(s) -quelque chose comme le croisement, hautement jubilatoire, entre Fear and Loathing in Las Vegas de Terry Gilliamet The Big Lebowski des frères Coen. Pour autant, Inherent Vice s’inscrit magistralement dans la lignée de son oeuvre, étant, au même titre que nombre de ses films, le récit d’une obsession se voilant, insensiblement, d’amertume. Le voyage mental délirant de Sportello ouvre ainsi sur une perspective plus vaste, quoique se refermant inexorablement sur elle-même: celle d’une certaine Amérique enterrant une part de ses illusions en même temps qu’elle fait le deuil de son innocence. Et ce film vintage et contemporain à la fois de balayer large, comme porté par les vents nocturnes du désert, Paul Thomas Anderson y ajoutant la manière, suffocante et… acide, comme il se doit.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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