L’oeuvre au noir

Où l’on redécouvre la géniale Shirley Jackson dans un recueil de treize histoires impitoyables, macabres et perturbantes.

Stephen King tient sa Maison hantée pour l’un des meilleurs romans fantastiques du XXe siècle. Et on décerne chaque année aux États-Unis des « Shirley Jackson Awards » aux romans contemporains les plus dignes de son héritage. Six romans, des dizaines de nouvelles et quelques livres pour enfants auront suffi à la reine américaine du suspense psychologique, de l’horreur et du noir fantastique pour déposer une marque durable sur la littérature anglo-saxonne. Née en 1916 à San Francisco et morte en 1965 dans le Vermont, Shirley Jackson est moins connue en français; c’est pourquoi cette réédition est la meilleure nouvelle de la semaine littéraire. La Loterie, sur laquelle s’ouvre le recueil, est l’une des short stories les plus célèbres et commentées de la littérature américaine. Dans une bourgade au matin d’une journée de plein été radieux, les habitants se rassemblent sur la place pour assister à une loterie. Éclairant très progressivement les ressorts de ce tirage au sort d’une nature particulière, la suite du texte est si inattendue qu’il créera un véritable choc à sa parution dans le New Yorker en 1948: après l’avoir lu, un certain nombre de lecteurs iront jusqu’à résilier leur abonnement au magazine. Le plus dérangeant à l’époque est sans doute que le sens profond de la nouvelle résiste à une seule interprétation. C’est toujours le cas aujourd’hui: 70 ans après, son impact reste hyperviolent, opaque et mystérieux. Sa lecture justifie à elle seule l’achat du livre.

L'oeuvre au noir

Parterres de roses

Mais les autres histoires du recueil ne sont pas en reste. Dans La Possibilité du mal, un système de lettres anonymes d’une implacable cruauté menace les faits et gestes médiocres d’une petite ville tranquille. Dans Quelle idée, une femme aimante est soudainement prise de pulsions meurtrières irréfrénables envers son mari. Dans Elle a seulement dit oui, une adolescente prédit calmement d’affolantes catastrophes à ses voisins sans jamais être crue, et jusqu’à ses propres parents leur mort prochaine dans un accident de voiture… Chez Shirley Jackson, les mises en place les plus banales basculent insidieusement vers une noirceur impensée -d’autant plus macabre qu’elle agit souvent en plein jour. Ce qui intéresse cette formidable conteuse, c’est examiner comment chaque coin de rue, chaque discussion chez l’épicier, chaque promesse de petit bonheur privé recèle sa part de bassesse, de méchanceté pure voire de barbarie. Chez elle, l’horreur est d’abord émotionnelle; et l’effroi avant tout causé par la réalité sociale, familiale voire conjugale (le couple comme plus petite cellule active de la vengeance et de la perversité). Des rues folles de New York aux parterres de roses proprets de La Nouvelle-Angleterre, ses contes noirs addictifs s’adressent bien sûr en premier lieu à une certaine bien-pensance typiquement américaine. Mais ils conduisent plus généralement une véritable exploration du mal.  » Tant qu’on exprime ses angoisses par l’écrit, rien ne peut nous atteindre« , déclarait celle pour qui l’écriture était une tentative d’exutoire contre ses propres démons et dépressions accablantes. Elle mourra dans son sommeil à l’âge de 48 ans. Elle en faisait, paraît-il, 20 de plus.

La Loterie et autres contes noirs

De Shirley Jackson, éditions Rivages, traduit de l’anglais (USA) par Fabienne Duvigneau, 250 pages.

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