ÉTERNEL SECOND RÔLE DU CINÉMA AMÉRICAIN AVANT D’ACCÉDER À UNE NOTORIÉTÉ CULTE À LA FAVEUR DE QUELQUES COMÉDIES, JOHN C. REILLY EXCELLE, COMME DE COUTUME, DANS WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN DE LYNNE RAMSAY.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

Longtemps, on a cru que John C. Reilly resterait l’un de ces éternels (et excellents) seconds rôles du cinéma américain. Le genre d’acteur passe-muraille mais indispensable à la réussite des films dans lesquels il apparaissait. Et un emploi qu’il a tenu avec bonheur pendant une bonne quinzaine d’années, celles qui conduisent de Outrages de De Palma à The Aviator de Scorsese, avec arrêts aux cases Malick ( The Thin Red Line), Paul Thomas Anderson ( Hard Eight, Boogie Nights et Magnolia), Allen ( Shadows and Fog), et on en passe.

Sa filmographie en dit long, en effet, sur l’estime dont l’acteur jouit dans le milieu. Le destin a voulu qu’il y ajoute un profil tardif et inattendu de star, obtenu à grand renfort de comédies cultes celui-ci, des Talladega Nights d’Adam McKay, aux côtés de Will Ferrell (trio reconstitué pour Step Brothers), au Walk Hard de Jake Kasdan, parodie de Walk the Line dont il assumait le premier rôle avec allant. Depuis, Reilly cumule, un pied dans la nouvelle comédie américaine, et un autre dans le cinéma indépendant. Statut qui lui convient, à l’évidence, à merveille, comme l’on put le vérifier lors du festival de Cannes, où l’acteur était venu défendre We Need to Talk About Kevin, monstre et maître-film de la réalisatrice écossaise Lynne Ramsay. Un film où il tient un second rôle qui lui va comme un gant -le pilier qui soutient un édifice où se déchirent, en première ligne, Tilda Swinton et Ezra Miller, mère et fils souffrant de ne pas savoir s’aimer.

Canotier et costume clair, John C. Reilly a l’élégance classique, qu’il prolonge d’un abord naturellement sympathique. Pas le genre à se pousser du col, de toute évidence. Le questionne-t-on, par exemple, sur une reconnaissance publique tardive, qu’il répond: « La reconnaissance dont j’ai besoin est celle des réalisateurs qui veulent travailler avec moi. Et à ce niveau, j’ai eu une chance inouïe dès le début. Le fait d’être célèbre, ou que des gens me reconnaissent en rue ne m’apporte pas de satisfaction particulière. Je veux pouvoir continuer à travailler, et tourner dans des projets intéressants. Après, quand on sait qui vous êtes, cela vous ouvre plus d’opportunités. Mais je ne suis pas devenu acteur pour être riche et célèbre, je suis devenu acteur parce que j’aimais jouer et raconter des histoires. C’est ce que je fais depuis l’enfance. « 

Une affaire de vision

Sa vocation, Reilly l’a d’abord exercée sur les planches, dans sa ville natale de Chicago, notamment au sein du légendaire Steppenwolf Theatre. Son baptême du feu cinématographique, il le fait à la toute fin des années 80 en Thaïlande, pour Casualties of War, sous l’autorité de Brian De Palma. L’acteur en tire une certaine notoriété, mais aussi une ligne de conduite: « Mes meilleures expériences artistiques ont toujours découlé de la rencontre avec un réalisateur, quelqu’un qui peut lire en moi et déceler ce dont je suis capable. Ce qui m’attire, ce sont les projets où des gens ont une vision. Ils brûlent de raconter une histoire et m’intègrent à leur schéma pour contribuer à la faire prendre vie.  » Un précepte qu’il n’a cessé d’appliquer, jusque dans les comédies ayant contribué à le populariser – « Ce sont vraiment des projets passionnés. Rien à voir avec ces films où le réalisateur n’est jamais qu’une gachette à louer, et où le scénario a été confié à un auteur au hasard… « 

S’agissant de passion, le comédien a été servi avec Lynne Ramsay, dont il appréciait le travail depuis qu’il avait découvert Ratcatcher et Morvern Callar.« Lynne a une personnalité unique. Je suis issu de la classe ouvrière, à Chicago. Si je suis très heureux de me retrouver ici, à Cannes, à fouler le tapis rouge, comme de travailler dans le cinéma, je n’ai jamais pu me départir du sentiment de ne pas appartenir à ce monde. Ce qui vaut aussi pour Lynne, qui a grandi dans un milieu semblable, à Glasgow. Il y a une authenticité, chez elle, que n’aurait pas quelqu’un ayant baigné sans discontinuer dans ce style de vie. Ce qui l’intéresse, c’est de traquer la vérité sur les familles, les relations. » A quoi s’ajoute la profonde singularité de son regard, ce que Reilly appelle son £il pour la photographie.

Conflit sans solution

Concernant We Need to Talk About Kevin, l’acteur évoque une tragédie grecque – « une grande histoire classique de conflit sans solution ». Où, pour être le ciment de cette famille en permanence au bord de l’implosion, le père n’en échoue pas moins comme les autres, mère et fils, à rétablir un lien, son souci constant d’éviter la confrontation se révélant en bout de course plus destructeur que (ré)conciliateur. « Dans ce type de situation, vouloir faire face à ce qui se passe entre la mère et leur fils implique l’explosion de la famille, ce à quoi il ne veut pas se résoudre. Je pense que c’est une attitude assez courante. On aurait pu faire un film calibré, avec un méchant enfant, des parents endurants, et une morale bien nette. Mais cela ne mènerait nulle part. L’option choisie nous fait examiner les choses de manière plus honnête. Et je pense, pour ma part, qu’il y a beaucoup de parents comme cela dans le monde… « 

Reilly n’en avait d’ailleurs pas fini avec la face sombre de la parenté, puisqu’il a enchaîné avec le Carnage de Roman Polanski (sortie le 14/12), soit l’adaptation de la pièce de Yasmina Reza qui voit 2 couples s’affronter à l’issue d’une bagarre ayant opposé leurs fils. Un film choral à 4 voix et autant de premiers rôles, dont il a apprécié le chef d’orchestre de sa position privilégiée. « Tous les réalisateurs sont différents, et je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi précis que Polanski, ni à ce point au fait de la photographie et de la composition. Souvent, sur les films, il y a de la place pour les accidents heureux, mais pas chez lui.  » De quoi étayer l’une de ses réflexions: « Acteur, c’est un peu être agent double: Martin Scorsese ne visite pas nécessairement les plateaux de Terrence Malick, ils ne savent donc pas comment ils travaillent vraiment l’un l’autre. Comme acteur, vous êtes invité à le faire…  » Ce qui, premiers ou seconds rôles, suffit largement à son bonheur…

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