PANNE D’INSPIRATION, DOUTES… IL AURA FALLU CINQ ANS À PAULINE CROZE POUR PONDRE UN TROISIÈME ALBUM. LE PRIX DE L’EDEN, ASSURÉMENT…

Le rendez-vous est fixé au Clockarium, à Bruxelles. Sur les murs de la maison art déco, des centaines d’horloges de cheminée en faïence, des plus élégantes aux plus rococos-kitsch. L’équipe de « Bruxelles ma belle » est déjà sur place pour filmer Pauline Croze. Guitare acoustique à la main, elle reprend l’un de ses derniers titres, Quelle heure est-il? Forcément… « Jamais, je n’arrive jamais à l’heure pile », chante-t-elle alors qu’en réalité elle a bien failli ne jamais arriver du tout…

Rappel des faits. Il y a d’abord un premier album éponyme, en 2005, et le mini-tube T’es beau. Mais le coup de c£ur, on l’a surtout eu deux ans plus tard, avec Un bruit qui court, disque éblouissant sur lequel Pauline Croze s’affranchissait des codes de la chanson française pour creuser une veine plus personnelle, mais pas moins limpide. Un vrai coup d’éclat. Du moins le pensait-on… « J’ai eu des gros moments de doute après cet album. Il a reçu un accueil très mitigé. En concert, je voyais bien que les gens ne comprenaient pas où je voulais en venir. Je sentais un filtre, comme un écran, alors que sur le 1er, il s’était passé un truc très fort, un vrai partage. De perdre ça, cela m’a un peu déstabilisée. » Au point de remettre en cause la démarche adoptée, de ne plus voir Un bruit qui court que comme un égarement, une erreur de parcours. « Sur les douze chansons, il y en a peut-être trois, quatre à sauver… »

Il en faut après tout, des échecs, dans une vie d’artiste. Comme Stanley Kubrick qui a toujours renié son premier Fear & Desire ( « un film prétentieux et emmerdant »), ou les Stones qui ont longtemps pris de la distance avec leur album de 1967, Satanic Majesties Request ( « trop de temps, trop de drogues », dixit Jagger), les Beatles s’écharpant eux sur l’envergure à donner à leur ultime Let it Be… Les malentendus viennent souvent d’un tube qui cache la forêt (Radiohead et leur tube Creep, Nirvana et son Smells Like Teen Spirit). Chez Pauline Croze, c’est plutôt le manque de reconnaissance qui lui a fait réentendre ses chansons d’une autre oreille. C’en est presque cruel: on y voyait un triomphe artistique; elle n’y trouve plus qu’un exercice de style suffisant…

Plus gênant: la voilà qui commence à ruminer et tergiverser. En 2009, elle s’acharne à pondre de nouveaux titres. Mais la néo-trentenaire (née à Noisy-le-Sec, 1979) doit se rendre à l’évidence: « Je n’avais rien de valable. » C’est la panne sèche. Les heures à tourner en rond, à ressasser. Et bientôt la panique. Le manque d’écho du 2e album n’est pas seul responsable. Le bonheur, cette crasse derrière laquelle tout le monde court, l’est aussi. La chanteuse sourit: « Disons que je suis plus apaisée aujourd’hui. Du coup, le ressort créatif qui passe par la douleur, la solitude, ne marchait plus. Je ne dis pas qu’on ne peut pas composer quand on est bien. C’est juste plus difficile. Personnellement, je ne suis pas certaine d’avoir ce talent… Quand on est triste, désespéré, seul, on a très vite le sujet qui nous importe. On sait ce qui nous manque, ce dont on aurait besoin. Quand on est bien, par contre, on commence d’abord par vivre son bonheur. On en profite tant qu’il est là… »

Grands espaces

Pauline Croze fait alors appel aux collègues (Dominique A, Mathieu Boogaerts, JP Nataf…). Sans que ça clique vraiment. Elle s’oblige aussi à creuser la fiction ou à gratter dans sa vie d’avant pour faire resurgir des émotions perdues. Puis arrive Edith Fambuena. Un personnage aussi discret qu’essentiel de la scène française, avec les Valentins ou ses collaborations avec Daho, Ba-shung, Brigitte Fontaine… C’est elle qui avait d’ailleurs produit le premier album de Pauline Croze. « J’étais vraiment paumée. J’avais besoin de bosser avec une personne de confiance, qui me connaissait. Elle m’a dit directement: « Toi, c’est le bois. » «  Celui de la guitare acoustique, qui reprend la place qu’elle avait au début, et qu’on entend, tranchante, dès les premières secondes du nouvel album, Le prix de l’eden. « C’est mon langage naturel, mes racines. Par contre, je ne voulais pas non plus du truc pop-folk, la fille qui chante dans sa chambre. C’est un peu mon cliché à moi, mais la chanson française évoque souvent un truc un peu étroit, où il y a trop de murs. Or j’avais envie d’espace… » Elle reprend donc les choses là où elle les avait laissées en 2007. « Pour Un bruit qui court , j’avais écarté la guitare-voix pour casser les mécanismes de composition, et éviter de me répéter. Mais finalement, je n’ai fait que contourner le problème. Pour ce nouveau disque, je me suis retrouvée comme après le premier: à devoir trouver un nouveau vocabulaire, avec ma guitare, sans radoter. »

Le prix de l’eden tient donc de l’exercice d’équilibrisme. Le juste milieu entre le parti pris sonore, un certain goût de l’aventure (les sonorités africaines sont toujours là, voir Le chant de l’orpailleur), et la lisibilité du propos. Cela a pris du temps. Cinq ans tout de même. « J’ai peur que tu m’oublies », chante Pauline Croze, devant les horloges du Clockarium. Il était en effet moins une…

PAULINE V, LE PRIX DE L’EDEN (***), DISTRIBUÉ PAR CINQ7/PIAS.

EN CONCERT CE VENDREDI 23/11, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

SESSION ACOUSTIQUE DISPONIBLE SUR WWW.BRUXELLESMABELLE.BE

RENCONTRELAURENT HOEBRECHTS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content