LA RTBF N’A PAS TOUJOURS EU LA PANTOUFLE ACCROCHÉE AUX PATTES. A L’OCCASION DES 60 ANS DE LA TÉLÉ PUBLIQUE, PETIT RETOUR SUR LES ANNÉES POP ET ROCK D’UNE CHAÎNE ALORS BIEN AUDACIEUSE.

Attention, danger. On vous aura prévenu. Brandissez bouclier, tarte à la crème, tarte tout court et l’attirail de défense anti-nostalgie: durant quelques lignes, on va jouer les anciens combattants. La télé, c’était mieux avant. Enfin, c’était plus pop avant. Plus couillu disons. Enfin par moments. On se faisait cette réflexion dépitée en parcourant le site Internet dédié par la Sonuma (les archives de la RTBF) aux 60 ans de la télé. Des archives qui valent de l’or, notamment parce qu’un paquet d’images resteront pour toujours gravées dans la mémoire de ceux qui les ont tournées, mais nulle part ailleurs: « Tout ce qui était tourné en film a survécu. Mais ce qui était tourné en vidéo était effacé la semaine suivante. Les bandes étaient réenregistrées. On ne pouvait pas se permettre de garder tout ça, et la maison considérait que ça n’avait pas de valeur. C’était un crève-coeur, mais c’est la vie », confie Michel Perin, réalisateur et producteur qui, de Pop Shop à Graffiti en passant par Ligne Rock, Folllies ou Génération 80, aura touché à presque toute la vague pop-rock de la RTBF. Il faudra donc nous croire sur parole quand on vous assure que les Pretty Things, Roxy Music ou le PIL de Johnny Rotten ont chatouillé leurs guitares sur les antennes de la chaîne publique.

Heureusement, la boîte à nostalgie n’a pas entièrement brûlé. Pink Floyd en février 1968, dans l’émission Vibrato, jouant Apples and Oranges entre des caisses de fruits. Les Kinks et Sunny Afternoon dans un parc bruxellois enneigé, toujours pour la même émission. Paul Weller et The Jam interviewés dans Folllies. Des sujets sur Salt’n’Pepa et Public Enemy dans Cargo de Nuit. Tears for Fears, Eurythmics ou The Smiths devant Fabienne Vande Meerssche et Génération 80. Soft Cell ou Marianne Faithfull dans Ligne Rock du regretté Gilles Verlant. Mick Jagger dans Graffiti, toujours avec la jolie Fabienne. Et une flopée d’autres perles qui, de nos jours, n’auraient pas le moindre début de chance d’aboutir à l’antenne. C’était mieux avant, franchement. Même si on va nuancer. Un peu plus tard. D’abord on rêve. Merci.

« Je faisais à peu près ce que je voulais. Comme le faisait avant moi Pierre Meyer, ou, plus loin encore, Léo Quoilin sur l’émission Vibrato, dont le générique était dessiné par Picha. Quoilin a enregistré Jimi Hendrix chez Glaverbel, vous imaginez? Tout ce qui était pop ou rock ne faisait pas de grandes audiences, entendons-nous bien. Mais vu que les audiences n’étaient pas calculées comme aujourd’hui, qu’elles étaient davantage centrées sur la satisfaction des téléspectateurs, on y allait. C’est devenu beaucoup plus raide par la suite. A l’époque, on inventait… », lance encore Michel Perin, qui a quitté la RTBF il y a bien longtemps.

Se dire que des légendes du rock ont pu tapisser les antennes de Reyers pendant un moment, ça fait quand même un peu mal au bide, quand on pense à C’est du Belge ou à Louis la Brocante. Mais là encore, on exagère. Alors on va nuancer. Maintenant. « A l’époque, la télé était encore une sorte de partenaire complice pour les maisons de disque. On était considéré comme un passage intéressant, MTV n’avait pas encore fait sa révolution. En plus, du temps de Cargo de Nuit, on travaillait en collaboration avec la VRT, qui faisait Villa Tempo au même moment », raconte Anne Hislaire, actuelle responsable des magazines culturels à la RTBF. Et qui fit ses premières armes sur Tempo, avec un tout jeune Gilles Verlant, nuque longue, à la présentation. Puis sur Ligne Rock et Graffiti. Avant Cargo de Nuit, Intérieur Nuit (et son générique fabuleusement anxiogène) ou Félix. « On était un petit noyau de producteurs et réalisateurs à avoir un regard original sur notre environnement, notamment musical. On n’avait aucun souci à faire passer les projets, que ce soit au niveau des concepts ou de la mise en oeuvre et de la présentation. Je pense qu’aujourd’hui, je ne pourrais pas mettre Jean-Louis Sbille, Enrico Salamone ou Xavier Ess à l’antenne aussi facilement. Les comportements ont changé, les demandes des antennes aussi », souligne la productrice.

L’industrie du disque, elle-même chamboulée, a clairement modifié la donne. En quelques décennies. Rattrapées par les clips, puis par Internet, les émissions musicales destinées aux jeunes ont fini par totalement lâcher prise, laissant toute la place à la soupe variété servie, dans des assiettes de plus en plus cheap, par les émissions de divertissement pur. Autre facteur d’assoupissement: d’un point de vue purement téléviso-télévisé en Belgique, la RTBF s’est longtemps débattue seule contre les chaînes françaises, sans concurrent interne. La liberté de manoeuvre était différente. Les contraintes d’audimat aussi. « On faisait particulièrement attention à l’audience qualitative, vu que les audiences ne se calculaient pas au quotidien, comme aujourd’hui. Ce qui laissait le temps à certains projets de se développer », poursuit encore Anne Hislaire. Laquelle se rappelle néanmoins des mercredis où la chaîne programmait, dans la foulée, Strip-Tease, Miami Vice et Cargo de Nuit. « Le public était plus jeune le mercredi soir, et plus apte à comprendre et apprécier de nouveaux concepts. Par ailleurs, dans une émission comme Cargo de Nuit, nous pouvions faire appel à des journalistes de l’extérieur, très jeunes en général, qui amenaient leur regard. »

Quelques décennies plus tard, la RTBF peut se retourner fièrement sur ses archives. Même s’il serait idiot de fantasmer un âge d’or où tous les programmes de la chaîne publique se seraient révélés audacieux, créatifs et rock’n’roll. En matière d’humour, par exemple, le début des années 90, c’est Un peu de tout (d’un Geluck à qui l’on devait déjà le formidable Lollipop), mais c’est aussi l’abominable Bon Week-End. Et à côté des émissions rock qui passaient souvent le samedi après-midi dans les années 70, Chansons à la carte recevait Claude François et Mike Brant le dimanche soir. Mais la télé d’alors avait encore en magasin quelques vrais coups de folie. Ce qui méritait d’être célébré.

TEXTE Guy Verstraeten

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